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L’étoffe d’un héros

Strasbourg
Opéra du Rhin
01/30/2009 -  et les 2, 7, 10 et 13 février à 18h30. À Mulhouse (la Filature le 27 février à 18h30 et le 1er mars à 15h)
Richard Wagner : Siegfried
Lance Ryan (Siegfried), Colin Judson (Mime), Jason Howard (Wanderer), Oleg Bryjak (Alberich), Jyrki Korhonen (Fafner), Alexandra Kloose (Erda), Jeanne-Michèle Charbonnet (Brünnhilde), Malia Bendi Merad (Waldvogel)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Claus Peter Flor (direction musicale)
David McVicar (mise en scène), Rae Smith (décors et costumes), Paule Constable (lumières), Andrew George (chorégraphie)


(© Alain Kaiser)


La suite du grand projet tétralogique de l’Opéra du Rhin, après un Rheingold et une Walkyrie dont les souvenirs resteront définitivement gravés en mémoire, vient d’aboutir à un Siegfried non moins important. À ce stade plus avancé du cycle, le Ring de l’équipe David McVicar/Rae Smith/Paule Constable laisse percevoir clairement toutes ses lignes de force, d’une cohérence et d’une clarté rares.


A nouveau décisifs, les décors de Rae Smith réussissent à faire oublier les contingences d’espace de la scène vétuste de l’Opéra du Rhin, grâce à un dispositif simple, obturable à mi-profondeur par des éléments coulissants. À l’arrière plan on retrouve la vaste zone libre et le mur métallique déjà beaucoup exploités dans la Walkyrie, et à l’avant scène toujours la même plate forme de jeu principale, tantôt vide tantôt surencombrée par le fouillis domestique de la caverne de Mime. Seul élément nouveau : l’invasion de l’espace scénique par un amas de ronces géantes, à la fois d’une présence visuelle très forte et d’une remarquable mobilité, chaque élément de ce taillis pouvant être facilement manipulé depuis les cintres. Une nature mouvante d’aspect gris et brillant, dont la prolifération envahissante s’inscrit bien dans l’univers décoratif de ce Ring à prédominance métallique et minérale. Paule Constable n’a plus qu’à laisser s’accrocher dans ce décor très saturé les reflets de ses projecteurs, pour créer d’heureuses ambiances changeantes de sous-bois. Quant au feu projeté et aux subtils changements de couleur de l’éclairage du rocher de Brünnhilde, ils ont beaucoup d’allure. La transition entre la première scène de l’acte III et le réveil de la Walkyrie endormie, long épisode orchestral sur lequel la plupart des scénographies achoppent en commettant une succession de bévues, la pire étant sans doute le rideau provisoirement fermé, se résout ici très simplement : le mur médian coulisse et s’efface, dévoilant le rocher, la mobilité des éclairages se chargeant d’assurer la fluidité de l’opération. Rien de plus, et c’est suffisant. En comparaison de cette économie de moyens l’Acte I fait désordre : le capharnaüm ménager de Mime accroche bien lumières et fumées mais aussi pas mal de poussière. Rien ne s'y différencie beaucoup des productions les plus conventionnelles du genre (on est bien proche de la banale production de Sir Peter Hall et William Dudley conçue pour Georg Solti à Bayreuth en 1983, réminiscence vieillotte de triste mémoire). Une accumulation d’accessoires anecdotiques heureusement compensée par une scène de la forge réalisée avec un sens aigu du détail et des effets spéciaux (jets de vapeur, métaux rougeoyants, liquides en fusion, étincelles à profusion : le tout d’un réalisme sidérant).


Toujours aussi fouillée, la direction d’acteurs de David McVicar accumule les moments forts, pouvant souligner occasionnellement le trait jusqu’à des trivialités qui heureusement passent bien. Les mains bougent et empoignent beaucoup, on se touche énormément, toute une gamme des sentiments est transcrite avec une exceptionnelle lisibilité. Très belle scène liminaire du II, où un Alberich fou de rage revit son humiliation passée avec les mêmes gestes (et sensiblement sur la même musique) que dans L’Or du Rhin. Vigoureuses empoignades aussi entre Wotan et Alberich, ou même entre Wotan et Siegfried, le tout d’une outrance expressionniste calibrée, qui rappelle parfois l’univers violemment séquentiel de la BD de science-fiction. Et puis, vrai clou du spectacle, le duel réaliste Siegfried/Fafner, ce dernier ayant pris pour l’occasion l’apparence d’une sorte d'araignée géante dont chaque patte (six et pas huit, certes, mais l’effet est garanti) est actionnée par un gymnaste différent. Seul moment de moindre tension, ou simplement moins abondamment riche en informations visuelles : le réveil de Brünnhilde et le duo qui s’ensuit, mais là c’est le statisme d’une écriture wagnérienne dont le niveau musical baisse significativement à ce moment qui en est aussi responsable.


Pour incarner le rôle titre, l’Opéra du Rhin a su miser sur Lance Ryan, révélé il y a trois ans par le Ring du Staatsoper de Karlsruhe. Physiquement la crédibilité du héros est impeccable: grand, blond, sympathique, juvénile, robuste mais agile... Et vocalement l’endurance du chanteur laisse ébahi, a fortiori dans le duo final où l’intégralité du patrimoine vocal semble intacte, sans la moindre trace de fatigue. Il y a de la trompette et du cuivre dans un timbre aussi naturellement présent, à tel point que l’un des risques auquel paraît exposé un tel artiste est d’en oublier de phraser sa ligne de chant. Mais ici ce défaut reste rare et la scène de la forêt est même très élégamment conduite. Ne manque qu’une prononciation allemande un peu plus idiomatique pour que l’on soit vraiment comblé.


Dans un rôle traditionnellement confortable (elle passe plus de deux actes à dormir pendant que son futur amant trime continuellement), Jeanne-Michèle Charbonnet déploie son beau timbre de soprano wagnérien assez central, avec les difficultés dans l’aigu (souvent attaqué en dessous) qui sont le propre de ce type de voix. Quant à Jason Howard, son Wanderer n’est pas plus musclé vocalement que ses incarnations précédentes, avec un timbre qui met du temps à s‘échauffer et de surcroît commence à grisonner de fatigue pendant ses derniers échanges avec Siegfried. Mais l’élégance du chanteur est agréable et ce qu’il propose est toujours intéressant. Oleg Bryjak campe un Alberich caricatural mais efficace, alors que Colin Judson, Mime très actif et bondissant en scène, convainc moins, avec une voix percutante mais qui manque d’épaisseur et soutient mal certaines phrases, dans son grand duo avec Wotan notamment. Joli oiseau de Malia Bendi Merad, Fafner conséquent de Jyrki Korhonen, Erda d’Alexandra Kloose davantage impressionnante qu’elle ne l’était dans L’Or du Rhin : somme toute une belle équipe, mais dont les petites défaillances passeraient moins bien sans le rôle moteur assuré par le Siegfried de Lance Ryan (situation ô combien rare: d’habitude, du moins à notre époque de carence relative en voix de heldentenöre, c’est plutôt l’inverse qui se produit).


En fosse, cette production trouve à nouveau un chef à sa mesure. A Marko Letonja, plutôt rapide et analytique, succède la grande manière de Claus Peter Flor : ambitus dynamique conséquent, lenteur relative, hiérarchie très poussée (et parfois surprenante) des plans sonores… Manifestement l’acoustique rétive de la fosse de l’Opéra du Rhin a été bien prise en compte, avec un souci évident de souligner ce qui doit impérativement passer. La partition en acquiert une lisibilité différente, avec des équilibres parfois insolites mais d’une indéniable efficacité. Quant à l’orchestre Philharmonique de Strasbourg, il paraît transfiguré, avec très peu d’insécurité dans les cuivres et un son de cordes agréable sinon dense (l’exiguïté de la fosse défavorise relativement les effectifs de ce côté là). Manifestement tout au long de ces quatre heures de spectacle Claus Peter Flor est présent partout, veille à tout, indique clairement la moindre conduite… un engagement personnel sans doute épuisant, mais aussi particulièrement payant.


Suite et fin de ce Ring magique annoncée à Strasbourg début 2011, mais malheureusement plus sous la supervision de Nicholas Snowman, atteint par la limite d’âge, qui s’apprête à se retirer après six ans d’un mandat exceptionnellement brillant. Reste la grande question, et ce pourrait être ici la quatrième des énigmes posées à Mime par Wotan : qui reforgera cet Anneau du Nibelung ensuite, dans son intégralité et sa continuité ? Pas l’Opéra du Rhin, du moins dans l’état actuel de ses capacités techniques, c’est malheureusement clair.



Laurent Barthel

 

 

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