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Le meilleur pour la fin

Paris
L’Archipel
12/23/2008 -  
Johann Sebastian Bach : Fantaisie chromatique et Fugue, BWV 903
Joseph Haydn : Variations en fa mineur, Hob.XVII.6
Ludwig van Beethoven : Sonate n° 30, opus 109
Claude Debussy : Reflets dans l’eau (extrait de la Première série des «Images») – La Cathédrale engloutie – La Terrasse des audiences du clair de lune (extraits des Premier et Second livres de Préludes) – Clair de lune (extrait de la «Suite bergamasque»)
César Franck : Prélude, Choral et Fugue

Jörg Demus (piano)


J. Demus


En achevant la série de concerts célébrant les dix ans de Saphir productions par un récital de Jörg Demus, Pierre Dyens a non seulement remercié l’artiste qui a enregistré six disques pour lui mais a aussi réservé au public le meilleur pour la fin. Car le pianiste autrichien, qui vient de fêter ses quatre-vingts ans, a confirmé qu’il pouvait sans peine se mesurer aux géants de sa génération que sont Brendel et Badura-Skoda, et ce dans un programme aussi somptueux qu’ambitieux.


On a perdu l’habitude de ce Bach immémorial et intemporel, métaphysique et intimidant, cathédralesque et symphonique, tonnant comme Jupiter: Demus en donne un exemple saisissant dans la Fantaisie chromatique et Fugue et, nonobstant de menues hésitations, s’appuie sur une technique hors pair, conjuguant puissance et rondeur du son, mais aussi agilité dans les traits vifs de la Fantaisie.


Dépourvues de reprises, les Variations en fa mineur (1793) de Haydn, interrogatives et sans concession, vont à l’essentiel, témoignant d’une pensée interprétative à la fois ferme et claire. La Trentième sonate (1820) de Beethoven se conclut également sur une série de variations: Demus ne s’attarde pas – le thème est même énoncé dans un tempo allant – car il est de ceux qui, s’effaçant devant la partition à force de réflexion et de hauteur de vue, la restituent dans toute sa vérité, sans fioritures inutiles.


Après cette première partie consacrée à l’univers germanique, deux compositeurs français: quoi de plus normal de la part de cet ancien élève d’un Français qui s’est illustré dans le répertoire germanique, Yves Nat, et d’un Franco-Allemand dont les interprétations de Debussy font encore référence, Walter Gieseking? C’est précisément par un bouquet debussyste que Demus débute la seconde partie: deux pièces évoquant l’eau, puis deux autres la nuit. S’il privilégie l’essentiel sur l’anecdotique, son piano ne cultive pas pour autant l’austérité ou la sécheresse, mais insuffle vie à chaque instant aux «Reflets dans l’eau», extrait du Première série (1905) des Images, tandis que les cloches sonnent à toute volée dans «La Cathédrale engloutie», dixième des douze Préludes du Premier livre (1910). C’est ensuite la souple subtilité de «La Terrasse des audiences du clair de lune», septième des douze Préludes du Second livre (1912), et le plaisir de retrouver le «Clair de lune» de la Suite bergamasque (1890) débarrassé de tout alanguissement fâcheux.


Qui joue encore César Franck, et notamment le plus justement réputé de ses triptyques pianistiques, Prélude, Choral et Fugue (1884)? Il est vrai que l’œuvre est d’une redoutable difficulté, mais Demus la connaît bien, car il l’a gravée voici plusieurs décennies pour la collection de microsillons économiques d’Harmonia mundi. Si sa vision, animée par un sens inné de la construction et des progressions, n’est pas principalement hédoniste, elle n’en offre pas moins en même temps un régal de sonorité et de toucher.


Par ses deux bis nocturnes, Demus confirme que la soirée tire sur sa fin: Berceuse (1874/1844) de Chopin, puis une courte page de sa composition, Cloches du soir, charmante bluette qu’on n’attend pas sous la plume de celui qui vient de captiver l’auditoire par la densité et la concentration de son jeu.


En France, on aime généralement bien attendre que les pianistes soient devenus octogénaires pour les reconnaître à leur juste valeur: il y a donc tout lieu de penser que le temps de Jörg Demus est venu – mais en attendant, il faut se féliciter que de petites salles telles que L’Archipel permettent au public parisien de pouvoir l’entendre chaque année.



Simon Corley

 

 

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