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Concert de clôture Paris Théâtre des Champs-Elysées 12/18/2008 - Johannes Brahms : Ouverture tragique, opus 81 – Symphonie n° 4 en mi mineur, opus 98
Béla Bartók : Concerto pour piano et orchestre n° 3, sz. 119
Mihalea Ursuleasa (piano)
Orchestre national de France, Daniele Gatti (direction)
Mihaela Ursuleasa (© Julia Wesely)
Alors que l’année 2008 touche à sa fin, Daniele Gatti poursuit imperturbablement son cycle Bartók – Brahms à la tête de l’Orchestre national de France (voir ici et ici). Avant d’entendre au cours du premier semestre de l’année 2009 quelques grandes pages orchestrales de Bartók et les Concertos pour piano de Brahms, le concert de ce soir permettait d’aborder certaines des œuvres ultimes de ces deux géants, en l’occurrence le dernier concerto pour piano du Hongrois et la dernière symphonie de l’Allemand.
La première page de ce programme était l’Ouverture tragique de Johannes Brahms (1833-1897). Composée au cours de l’été 1880, elle est la sœur et, en même temps, l’exact opposé de l’Ouverture pour une fête académique qui vit le jour à la même époque. « L’une rit, l’autre pleure » aurait dit Brahms, établissant ainsi l’atmosphère singulière de chacune de ces deux pages qui, dans un sens bien différent, permettent aux orchestres de briller de mille feux. Comme on avait déjà pu le remarquer, Daniele Gatti n’est pas un révolutionnaire dans l’interprétation des œuvres de Brahms : tempi amples et sens prononcé du legato sont les deux grandes caractéristiques qu’il s’ingénie à chaque fois à mettre en exergue. Si l’orchestre s’avère somptueux (notamment l’intervention du hautbois de Nora Cismondi dans la partie centrale de la pièce), la vision de Daniele Gatti trahit une lourdeur constante qui éclipse tout élan et, par là même, substitue au caractère « tragique » une ambiance plutôt laborieuse.
Après cette introduction tout en chaleur étouffante, le concert trouva dans l’intervention de la jeune pianiste Mihaela Ursuleasa un moment de fraîcheur absolue. Il faut dire que le Troisième concerto pour piano de Béla Bartók (1881-1945) s’y prête assez bien… Bien que composé dans des circonstances tragiques (Bartók s’y attelle au cours de l’été 1945 alors qu’il est malade et qu’il souhaite offrir à son épouse, Ditta Pasztory, concertiste de renom, une œuvre avec laquelle elle puisse gagner honorablement sa vie après son décès, qui survient dès la fin du mois de septembre…), le climat du premier mouvement s’avère serein. Les premières notes jouées par le piano trahissent à la fois la modernité de l’œuvre et son caractère élégiaque ; Mihaela Ursuleasa est ici dans son élément. Joliesse du son, légèreté du toucher, elle dialogue efficacement avec un orchestre dont les tonalités renvoient aussi bien au Concerto pour orchestre qu’au jazz… Le deuxième mouvement, marqué « Adagio religioso » par le compositeur lui-même, est empreint d’une grande quiétude : après une douce introduction confiée aux cordes, le piano s’exprime de façon extrêmement simple avant que, plein d’une violence contenue, il ne trahisse la douleur qui l’innerve. Daniele Gatti conduit cette partie avec un soin extrême : observateur respectueux de son orchestre, il dirige avec précision les interventions inattendues de la petite harmonie, du xylophone et des trompettes en sourdine au milieu du mouvement. Mihaela Ursuleasa frappe, quant à elle, par la simplicité de son jeu qui, on peut le regretter, reste parfois à la surface des choses et manque de profondeur… L’Allegro vivace est un amusement sous les doigts de la jeune pianiste roumaine. Poursuites et cache-cache avec l’orchestre tourbillonnent, parfois entrecoupés par le jeu régulateur des timbales et des violoncelles, avant que soliste et orchestre ne prennent le temps d’une brève réflexion, troublée par le surgissement d’inopinés accents folkloriques, parfaitement rendus par l’Orchestre national de France. Le crescendo final est appréhendé par une Mihaela Ursuleasa aux anges, n’hésitant pas à jeter son regard mutin vers le public tout en jouant avec efficacité les traits d’une partition redoutable. Les applaudissements nourris du public nécessitaient un bis : ce fut une « Polka roumaine » endiablée, tirée desDanses folkloriques roumaines.
Composée en 1884–1885, la Quatrième symphonie fut créée en octobre 1885 sous la direction de Brahms lui-même. A-t-il connu plus grand succès qu’à cette occasion ? L’ovation qu’il recueillit alors saluait l’apothéose d’une certaine forme de la symphonie (la Première symphonie de Gustav Mahler lui est contemporaine et pourtant, que de nouveaux horizons sont alors ouverts !), à la fois classique dans son agencement et relativement moderne dans ses tonalités et libertés formelles. Le vaste Allegro non troppo met en scène une formidable alternance entre solistes et masse orchestrale qui, tour à tour, brodent leurs interventions sur le thème inaugural lancé par les violons. Les défauts de l’Ouverture tragique se retrouvent immédiatement : l’accentuation excessive et la lourdeur de la pâte orchestrale conduisent Daniele Gatti à ignorer la face légère de ce premier mouvement. Plus à l’aise dans le hiératique Andante moderato où la pudeur prend le pas sur le tragique, Gatti parvient, grâce à de remarquables solistes (cor, clarinette et hautbois notamment), à y insuffler un véritable caractère épique. Après un troisième mouvement un peu raide, l’orchestre appréhende l’Allegro final avec détermination. Inspiré d’une passacaille de Jean-Sébastien Bach (elle-même incluse dans la cantate BWV 150 « Nach dir, Herr, verlanget mich »), il conduit l’auditeur dans une véritable apothéose sonore. Là encore, Gatti phrase avec excès, n’hésitant pas à pointer le doigt sur tel ou tel passage alors que la partition se suffit à elle-même : au final, une interprétation peu convaincante qui, une fois de plus, illustre parfaitement l’adage selon lequel « Qui trop embrasse mal étreint » …
Le site de Mihaela Ursuleasa
Sébastien Gauthier
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