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Palais de la Musique et des Congrès
11/06/2008 -  et le 7 novembre 2008*
Olivier Messiaen : Turangalîlâ-Symphonie
Jean-Efflam Bavouzet (piano), Valérie Hartmann-Claverie (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marc Albrecht (direction).


(© Marco Borggreve)


On peut apprécier la Turangalîlâ-Symphonie ou la détester, problème de réception qui persiste depuis l’accueil houleux réservé à sa création française, en 1950 au Festival d’Aix.
A propos de ce scandale retentissant on résiste difficilement au plaisir de citer Francis Poulenc se déclarant dans une lettre à Darius Milhaud "(…) à bout de nerfs de la malhonnêteté de cette œuvre écrite pour la foule et l’élite, le bidet et le bénitier, tout ceci dans une affreuse tradition Dukas, Marcel Dupré".


Poulenc devait se rétracter quelques années plus tard mais sa perception immédiate pointe efficacement les défauts d’une œuvre qui peut effectivement supporter toutes sortes de récupérations. Le clan Messiaen a longtemps veillé à canaliser la plupart de ces débordements, mais cette longue période de mainmise appartient désormais à un passé révolu. Une page décisive s’est tournée sur les délires colorés, les pièges d’une grammaire rythmique d’une effroyable complexité, voire les marottes d’un bestiaire ornithologique indéchiffrable… Place donc à une nouvelle génération d’interprètes, qui abordent Messiaen, et tout particulièrement cette Turangalîlâ-Symphonie, aussi directement que les trivialités calculées des Symphonies de Mahler et Chostakovitch. Pour le meilleur et pour le pire.


Avec Marc Albrecht, qui s’attaque à ce monument avec un engagement physique impressionnant, on n’est pas certain d’être toujours du côté du meilleur. Faute peut-être d’un travail de répétition suffisant les dynamiques de l’orchestre paraissent nivelées, avec de longs passages où seule l’importance variable de la distribution instrumentale semble déterminer le niveau sonore. De même on constate une inévitable simplification rythmique, les singularités de notations complexes semblant se fondre à plus d’un moment en un confortable continuum régulier. Ainsi l’aspect « jazz symphonique » de Joie du sang des étoiles ou du Final devient ici inévitable, dérives spectaculaires à l’américaine, quelque part entre Broadway et Hollywood, que l’on préfère trouver plutôt sympathiques. Au lieu de s’en offusquer, mieux vaut se laisser emporter par les déferlements, les ostinati et les effets de masse d’une écriture symphonique démesurée, se laisser clouer sur son siège par des écarts de dynamiques qui franchissent à plus d’une reprise le mur du son… le charme de cette symphonie hors-normes, c’est aussi cela. En revanche le déficit en couleurs de cette interprétation (des cordes sans charme) voire le manque de contrôle des dynamiques (y compris le piano, beaucoup trop fort et martelé) transforme Jardin du sommeil d’amour en un long tunnel, loin des extases attendues.


On s’interroge aussi sur les problèmes d’équilibre entre la masse orchestrale et les ondes Martenot, qui ne sont pas toujours bien résolus, mais peuvent-ils vraiment l’être ? Les réserves de puissance de l’instrument sont en principe importantes, mais dépendent de la quantité d’interfaces acoustiques utilisés (des haut-parleurs dont Messiaen a précisément codifié le nombre et le type). Par ailleurs l’orchestre pourrait tenter de contrôler davantage son propre volume lors de certains passages clés (Marc Albrecht semble se soucier de ce problème mais ne parvient pas toujours à le résoudre). Toujours est-il que les belles lignes ondoyantes que Valérie Hartmann-Claverie dessine au ruban paraissent souvent englouties dans la masse. Souci de discrétion peut-être louable, et sans doute juste dans une esthétique traditionnelle où les ondes ont davantage valeur de couleur supplémentaire dans l’instrumentation que de soliste à part entière, mais parfois frustrant, tant l’œil est souvent obligé de se substituer à l’oreille pour déceler si les ondes jouent ou ne jouent pas.


Au piano Jean-Efflam Bavouzet aborde les premières pages dans une esthétique un peu surprenante, en tout cas inhabituelle pour ceux qui se sont familiarisés avec cette œuvre à l’écoute d’Yvonne Loriod puis de Roger Muraro. Un piano aux plans sonores très étagés, qui n’hésite pas à exploiter les résonances voire à estomper les angles dans une esthétique presque debussyste. Pourquoi pas, mais avec là aussi le risque d’être marginalisé par l’orchestre. Il faut attendre les grandes cadences pour mieux percevoir le charme d’un jeu qui ne manque pas de souffle ni d’originalité, avec malheureusement à la longue une certaine fatigue qui s’installe, les accords devenant plus lourds et massifs, voire trop brutaux (Jardin du sommeil d’amour en fait les frais de façon patente).


Somme toute une très bonne exécution de la Turangalîlâ-Symphonie, qui révèle bien, et résout honorablement, les divers problèmes d’exécution de cette œuvre au moment crucial de son entrée définitive au répertoire symphonique. La perception globale de Messiaen par le grand public du XXIe siècle, ce ne sera vraiment plus que cela ? Cet impact au premier degré ? Ces coulées volcaniques de sensualité hollywoodienne ? Vraisemblablement oui. Et faute de mieux il faudra s’y habituer.



Laurent Barthel

 

 

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