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Cohérence dans l’incohérence Paris Opéra Bastille 11/17/2008 - et 19, 22, 25, 27, 29 novembre, 1er, 4, 7, 10, 13, 18, 20, 23 décembre 2008 Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 622
Shawn Mathey (Tamino), Iwona Sobotka (Erste Dame), Katija Dragojevic (Zweite Dame), Cornelia Oncioiu (Dritte Dame), Russell Braun (Papageno), Maria Virginia Savastano (Papagena), Kristinn Sigmundsson (Sarastro), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke/Markus Brutscher* (Monostatos), Maria Bengtsson (Pamina), Erika Miklosa*/Cornelia Götz (Königin der Nacht), José Van Dam (Der Sprecher), Jon Ketilsson (Erster Geharnischter), Rúni Brattaberg (Zweiter Geharnischter), Wenceslas Ostacenko, Louis de Lavignère, Mehdi Hennad/Joseph Sallembien, Oscar Sajous, Charles Grognot-Crépy (Drei Knaben)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Alex Ollé et Carlos Padrissa de La Fura dels Baus (conception et mise en scène), Valentina Carrasco (collaboratrice à la mise en scène), Jaume Plensa (conception, décors et costumes), Franc Aleu (vidéo), Albert Faura (lumières), Miron Hakenbeck (collaborateur à la dramaturgie), Rafael Argullol (textes projetés)
(© Frédérique Toulet/Opéra national de Paris)
L’Opéra national de Paris reprend, pour quatorze représentations d’ici Noël, La Flûte enchantée (1791) (re)vue par La Fura dels Baus, qui a entre-temps présenté un spectacle Janácek/Bartók (voir ici). Lorsque cette coproduction avec la RuhrTriennale et le Teatro Real de Madrid avait été présentée pour la première fois à Paris (janvier 2005), la principale déception avait tenu au remplacement des dialogues parlés par un poème de Rafael Argullol (voir ici). Celui-ci continue d’être présent grâce aux «idéogrammes», textes projetés sur scène, mais la présente reprise a rétabli les dialogues parlés, sonorisés mais aussi adaptés et réduits comme il est souvent d’usage de le faire.
Pour le reste, Alex Ollé, Carlos Padrissa et Jaume Plensa persistent et signent. Bien loin des conceptions de Robert Wilson ou Benno Besson présentées dans la capitale ces dernières années, le «collectif théâtral» tient l’ultime opéra de Mozart pour une «fable surréaliste»: une vision qu’encouragent certes les incohérences du livret, mais qui n’en est pas moins réductrice, car si elle fait la part belle aux symboles, à la magie, à l’illusion, à l’onirisme et à la psychanalyse, elle néglige l’essentiel du message initiatique, maçonnique et philosophique de l’œuvre pour lui préférer l’univers de la science-fiction et des jeux vidéo, auxquels s’adonnent d’ailleurs systématiquement les trois Garçons. Un monde peut-être tout entier né d’un cerveau: au début du premier acte, le serpent qui s’attaque à Tamino n’est qu’une guirlande tournoyante de concepts qui défilent à vive allure autour de lui.
Au cœur de la scénographie se trouvent douze «modules» gonflables, immenses matelas alvéolés et translucides en forme de bacs à glaçons, mous comme des montres daliennes et déplacés par des machinistes en blouses blanches de chercheurs: ils font office de décor, complétés par les fantaisies les plus inattendues, comme cette piscine remplie de balles en plastique blanches et noires qui finissent leur course dans la fosse. Les projections de Franc Aleu, figuratives (tel ce cercueil voletant durant l’air de Pamina du second acte) ou abstraites (formes à la Max Ernst), occupent donc une place centrale dans le dispositif, sans oublier le recours occasionnel à la vidéo en temps réel.
Nulle autre cohérence que celle d’une succession d’incohérences, comme dans un rêve, avec ces personnages en apesanteur ou cette partie d’échecs pendant le chœur des prêtres au début du second acte. Sans conférer pour autant un grand dynamisme à l’action, les pieds de nez n’épargnent pas même les moments où le Singspiel se fait plus sérieux, comme l’air «In diesen heil’gen Hallen» au second acte: Pamina s’y livre à un tour d’illusionnisme qui tourne mal (dans son imagination?), transperçant avec des épées le caisson de Sarastro duquel s’échappent des filets de sang tandis que les murs rougissent progressivement.
Conçus par Jaume Plensa, les costumes sont tout aussi bariolés: trois Dames aux attributs sexuels luminescents et aussi lascives que les Filles du Rhin, gilets jaunes pour le couple élu, cuir rouge et cape de plumes blanches pour le couple bouffe, Reine de la nuit au manteau scintillant comme la boules à facettes d’une discothèque, Sarastro en smoking dont il ne tarde pas à abandonner la veste et le nœud papillon, ...
Les sifflets sans lesquels il ne saurait plus y avoir de première digne de ce nom à Paris se manifestent dès la fin du premier acte, puis furtivement durant le second et, bien entendu, au moment des saluts. Si l’on est en droit de ne pas aimer le spectacle, s’agissant en revanche d’une reprise, rien n’oblige, sinon le masochisme, à venir ou à revenir assister à un spectacle dont les principales orientations sont déjà bien connues.
Quoique de manière moins caractérisée, les huées visent également Thomas Hengelbrock, qui, à la baguette, a succédé à un autre «baroqueux», Marc Minkowski. S’agit-il de dénoncer de la sorte les décalages avec le plateau, dont on peut raisonnablement supposer qu’ils s’estomperont avec le temps? Car pour le reste, la direction du chef allemand ne jure pas avec le travail de l’équipe catalane, refusant la solennité et optant pour un style très alerte et contrasté, mais jamais raide ni précipité, qui fait sonner remarquablement l’orchestre.
L’Opéra Bastille n’est décidément pas le lieu idéal pour les voix mozartiennes, de telle sorte que l’idée consistant à faire évoluer la Reine de la nuit au-dessus de la fosse durant son air du premier acte apparaît tout à fait judicieuse. Par rapport à 2005, la distribution est presque entièrement renouvelée, à l’exception d’Erika Miklosa (en alternance avec Cornelia Götz) en Reine de la nuit aux vocalises bien plus musicales que simplement mécaniques. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke reprend également le rôle de Monostatos, en alternance avec Markus Brutscher, qui lui confère intelligemment une épaisseur inhabituelle. A l’aise dans aussi bien dans le lyrisme que dans l’héroïsme, Shaw Mathey incarne un magnifique Tamino, au niveau duquel la Pamina de Maria Bengtsson n’a aucun mal à se hisser. Russell Braun cultive avec bonheur tous les registres de Pagageno, mais sans forcer le trait, et trouve une réplique idoine dans la Papagena de Maria Virginia Savastano. Seul le Sarastro de Kristinn Sigmundsson apparaît en petite forme, tandis que l’Orateur est incarné par une guest star de luxe, José Van Dam, dont les moyens demeurent, à soixante-huit ans, tout à fait impressionnants.
Le site de La Fura dels Baus
Simon Corley
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