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Reprise à haut risque

Paris
Opéra Bastille
10/30/2008 -  et 3, 6, 13, 18, 21, 26, 30 novembre 2008
Richard Wagner : Tristan und Isolde
Clifton Forbis (Tristan), Franz-Josef Selig (le Roi Marke), Waltraud Meier (Isolde), Alexander Marco-Buhrmester (Kurwenal), Ekaterina Gubanova (Brangaine), Ralf Lukas (Melot), Bernard Richter (Un pâtre, un Jeune Marin), Robert Gleadow (le Pilote)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Semyon Bychkov (direction)
Peter Sellars (mise en scène), Bill Viola (vidéo)


W. Meier (© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


Rien n’est plus risqué qu’une reprise : le temps fait son ouvrage et d’autres interprètes peuvent modifier la donne, dans un sens ou dans un autre. Le Tristan et Isolde mis en scène par Peter Sellars ne fait pas exception à la règle. En 2005, la direction fluide et transparente d’Esa-Pekka Salonen débusquait dans l’orchestre de Wagner des chatoiements debussystes tout en faisant de la partition un opéra de chambre. A la tête d’un orchestre digne du chef-d’œuvre wagnérien, Semyon Bychkov s’ancre davantage dans la tradition, mais sans la moindre lourdeur. Lui qui peut être brut et bruyant se montre ici aussi clair que théâtral, construisant le drame jusqu’à son terme, particulièrement inspiré dans le troisième acte. Il est vrai qu’on y écoute d’abord l’orchestre, faute d’un Tristan digne de ce nom. Après Ben Heppner, qui compensait par une subtilité de Liedersänger son manque d’héroïsme, Clifton Forbis nous fait tomber de haut. A Genève, il passait encore ; à Bastille, il dépare la soirée. Timbre plein de limaille, phrasé sommaire, ligne hachée, coups de glotte dans l’aigu, rien ne va. Ce n’est même pas une question de moyens : un René Kollo, un Siegfried Jerusalem, pour ne rien dire de Wolfgang Windgassen, n’avaient pas davantage ceux de Tristan et ils furent mémorables. Le délire du troisième acte ne peut s’accommoder d’un chant négligé : le « Wie sie selig » exige un legato parfait, appuyé sur la maîtrise du souffle. Waltraud Meier, qui fut la meilleure Isolde de sa génération, s’avère en méforme évidente, parfois méconnaissable : la moitié des notes – on ne parle pas seulement des aigus et des deux contre-ut, mais aussi du médium - lui échappe et la contraint à des trucages, elle se reprend heureusement au troisième acte, comme si elle s’était ménagée auparavant pour tenir jusqu’au bout, alors que d’autres font le chemin inverse, se donnant pleinement aux deux premiers et arrivant épuisées au dernier. Reste évidemment l’interprète, identifiée au personnage, modèle d’intelligence et de musicalité, plus ou moins fascinante malgré tout.


Quoi qu’il en soit, on retient avant tout de la soirée le Marke de Franz Joseph Selig, superbe de noblesse dans les accents et dans la ligne, chantant sa tendresse blessée sans un sanglot, vraiment royal – trouvant, pour « Dies wundervolles Weib », des partenaires à sa hauteur dans les bois de l’orchestre. Si Ekaterina Gubanova est une assez bonne Brangaine, dont le vibrato doit cependant se maîtriser, on remarque davantage le Kurwenal d’Alexander Marco-Buhrmester, exemplaire de tenue là où l’écuyer trouve souvent des interprètes débraillés, surtout au premier acte, où il ne bouscule pas la mesure dans « Das sage Sie der Frau Isold ». Et l’on ne remarque pas moins le Marin et le Pâtre - encore un phrasé de Liedersänger - de Bernard Richter.


La mise en scène de Peter Sellars, d’un classicisme quasi minimaliste, presque ascétique, d’un statisme habité, séduit toujours autant, très loin de certaines de ses productions, beaucoup plus dérangeantes ou beaucoup plus hasardeuses. Le grand duo du deuxième acte, lorsque les deux amants se mettent à genoux comme pour une prière, devient un vrai hymne à la nuit. Ce Tristan dépouillé n’est plus qu’un drame intérieur, ce qui allait si bien avec la direction de Salonen, dans un décor nu d’où toute action étant évacuée – même pas de duel entre Melot et Tristan, qui se laisse poignarder dans le dos. Les projections de vidéo de Bill Viola prétendent sonder l’au-delà des mots et de notes, jusqu’aux abîmes de l’inconscient : mer omniprésente, rite de purification, corps en apesanteur dans l’eau, silhouette apparaissant dans le tremblement des flots. Cela convainc quand la nature remplace le décor et accorde la réalité à l’illusion théâtrale, que ce soit la mer en mouvement ou la forêt avec ces torches pour épier les amants. Le reste semble souvent inutile, distrait de l’épure conçue par le metteur en scène plus qu’il ne l’approfondit, à commencer par le rite de purification, qu’on verrait plutôt dans Parsifal, et tombe vite dans la répétition monotone et systématique, comme les images d’incendie.


Cela dit, dans l’ensemble, eu égard aux risques encourus, cette reprise l’échappe belle. Les chanteurs sont applaudis à tout rompre, le metteur en scène et le vidéaste, comme il se doit un soir de première à Paris, sont un peu chahutés.



Didier van Moere

 

 

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