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La Esmeralda ressuscitée

Montpellier
Opéra Berlioz-Le Corum
07/23/2008 -  
Louise Bertin : La Esmeralda.
Maya Boog (La Esmeralda), Manuel Nunez Camelino (Phœbus), Francesco Ellero d’Artegna (Frollo), Frédéric Antoun (Quasimodo), Yves Saelens (Clopin), Eugénie Danglade (Fleur de Lys), Eric Huchet (Vicomte de Gif), Marie-France Gascard (Madame Aloïse de Gondelaurier), Evgueniy Alexeiev (Monsieur de Morlaix), Marc Mazuir (Monsieur de Chevreuse), Sherri Sassoon-Deshler (Diane), Alexandra Dauphin-Heiser (Bérangère), Gundars Dzilums (Pierrat Torterue)
Chœur de la Radio lettone, Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon, Lawrence Foster (direction)


Louise Bertin


Elle est douée, la petite Bertin. Et comme elle est la fille du directeur du Journal des débats, elle fréquente du beau monde, à tel point que Hugo concocte pour elle un livret d’opéra tiré de Notre-Dame de Paris. Il l’a repérée dès la représentation de son Fausto aux Italiens en 1831, l’année de la parution de son roman. Leur collaboration commence aussitôt et le poète, beaucoup moins insensible à la musique qu’on ne l’a dit, se montre très déférent vis-à-vis de la jeune compositrice de 29 ans – elle mourra en 1877. Il resserre l’action autour d’Esmeralda, de Phœbus et de Frollo ; Quasimodo ne joue pas un rôle aussi important que dans le roman et l’opéra s’achève par la mort du capitaine révélant à la foule l’identité de son assassin. Frollo rongé par le désir parut d’ailleurs un peu trop sulfureux à la censure et il fallut faire oublier son état d’ecclésiastique pour ne pas offenser l’Eglise et la religion - pour se venger, Hugo fit distribuer le livret original le jour de la création. Création sans lendemain : l’œuvre ne tint pas au-delà de la sixième représentation. Tout jouait contre la pauvre Louise : la situation de son père, du moins aux yeux de certains, son statut de femme et le parfum de scandale qu’exhalait un tel sujet porté à l’Opéra.


Berlioz, qui avait dirigé les répétitions, dut aussi préciser, dans sa critique dans La Revue et gazette musicale de Paris, qu’il n’avait pas, comme le bruit en courait, mis la main à la pâte, en particulier pour l’air de Quasimodo, qu’il fallut bisser tant il eut de succès. Il trouva dans l’œuvre « des beautés incomparables et du premier ordre » ; il déplorait seulement un « orchestre trop chargé » et une « coupe rythmique des phrases défectueuse », défauts attribués à la jeunesse de sa consœur. Ce ne fut pas le cas de tous ses confrères, le critique du Siècle allant jusqu’à expliquer que la compositrice, physiquement handicapée, trouvait dans « les plus nobles occupations de l’esprit des consolations à ses infirmités physiques ». Liszt, de son côté, repéra aussitôt le talent de la demoiselle : la seule réduction d’opéra qu’il ait réalisée est celle de La Esmeralda.


Celle-ci tient encore le coup aujourd’hui et mérite une place parmi les « grands opéras » de l’époque, entre Auber, Halévy, Meyerbeer, le Rossini français… et Berlioz lui-même. Louise Bertin sait écrire pour les instruments et les voix, a de belles trouvailles harmoniques, des idées originales en matière de sonorité. Elle a aussi le sens du théâtre, sans tomber dans le pompiérisme, terminant pianissimo son premier acte et maîtrisant parfaitement le grand ensemble de celui du deuxième – apparemment, elle passe outre à la convention du ballet. Le récitatif qui précède l’air d’entrée de l’héroïne, au dernier acte, témoigne d’un art de la déclamation digne du Berlioz de La Mort de Cléopâtre.


La Esmeralda fut créée le 14 novembre 1836, par les grandes étoiles de l’Opéra, qui avaient, neuf mois plus tôt, porté au triomphe les Huguenots de Meyerbeer : Cornélie Falcon (Esmeralda), Adolphe Nourrit (Phœbus), Nicolas Prosper Levasseur (Frollo), un trio de rêve. On doute que les chanteurs réunis à Montpellier aient atteint ce niveau. Maya Boog a sans doute la voix trop légère pour le rôle-titre, qui ne correspond guère à la tessiture de sa créatrice, avec une déclamation laissant d’abord beaucoup à désirer. Elle prend peu à peu de l’assurance et donne toute sa mesure au dernier acte, tout à fait intelligible, beaucoup plus investie dramatiquement, si bien que l’on passe sur une émission un peu droite. Elle est malheureusement poursuivie par un Francesco Ellero d’Artegna étonnamment hors de propos, grommelant sa partie comme un traître de mélodrame, donnant presque l’impression de déchiffrer, rebelle à tous les canons du style français – et du style tout court. Les ténors, heureusement, sauvent la mise. Petite voix pour les dimensions de la salle, mais qui se projette facilement, Manuel Nunez Camelino séduit par la qualité du timbre, l’aisance de l’aigu, la délicatesse de la ligne de chant, et campe un Phœbus juvénile et ardent. Frédéric Antoun, moins gâté en Quasimodo, se distingue néanmoins dans le fameux air des cloches. On sait l’importance du chœur dans ce genre d’opéra : celui de la Radio lettonne soutient vaillamment sa partie, même s’il se montre évidemment peu familier de la prosodie française. Lawrence Foster, si souvent sollicité pour les chefs-d’œuvre délaissés, dirige en authentique chef de théâtre, finissant par entraîner un orchestre plutôt incertain au début, soucieux à la fois de préserver l’équilibre des masses et de mettre en valeur les idées instrumentales de la compositrice.


Après Fedra de Pizzetti, René Koering a, une seconde fois, eu la main heureuse en exhumant cette Esmeralda, jamais donnée depuis sa création – on reste un peu sceptique, en revanche, sur l’orchestration par Richard Dubugnon de la brève Ouverture, aujourd’hui perdue, d’après les indications de la réduction de Liszt.



Didier van Moere

 

 

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