About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Noir c’est noir

Paris
Palais Garnier
04/10/2008 -  et 15, 17, 21, 27, 29 avril, 6 mai 2008
Arnold Schönberg : Ode to Napoleon Buonaparte, opus 41
Luigi Dallapiccola : Il Prigioniero

Dale Duesing (récitant), Rosalind Plowright (La Madre), Evgeny Nikitin (Il Prigioniero), Chris Merritt (Il Carceriere, Il Grande Inquisitore), Johan Weigel, Bartlomiej Misiuda (Due sacerdoti)
Frédéric Laroque, Vanessa Jean (violon), Laurent Verney (alto), Martine Bailly (violoncelle), Christine Lagniel (piano), Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Lothar Zagrosek (direction musicale)
Lluis Pasqual (mise en scène), Paco Azorin (décors), Isidre Prunés (costumes), Albert Faura (éclairages)


Parallèlement au Wozzeck mis en scène par Christoph Marthaler à Bastille (voir ici), Le Prisonnier est présenté à sept reprises à Garnier: deux nouvelles productions dont le rapprochement ne tient certainement pas du hasard. Dallapiccola, comme Berg le fit plus tard dans Lulu, associe la veine lyrique à la technique dodécaphonique et son Prisonnier (1948), dont il a lui-même tiré le livret d’après Villiers de l’Isle-Adam et Charles de Coster, partage avec la pièce de Büchner la vision pessimiste d’une humanité aliénée et avilie, en écho au siècle passé, celui de Kafka et de Primo Levi, et à ses tragédies, Première et Seconde Guerres mondiales.


D’une durée de moins d’une heure, cet opéra en un prologue et un acte dont Hermann Scherchen dirigea la création tant radiophonique (RAI, décembre 1949) que scénique (Florence, Teatro comunale, mai 1950) appelle nécessairement un complément. Fallait-il le chercher parmi d’autres œuvres du compositeur – Vol de nuit, Ulysse ou peut-être plus encore les Canti di prigionia? Lluis Pasqual a préféré la rare Ode à Napoléon Bonaparte (1942) de Schönberg: un choix dont la cohérence, aussi bien musicale que thématique, ne peut être contestée, associant deux manifestes contre toutes les tyrannies conçus dans les pires années de la Seconde Guerre mondiale, mais dont la mise en valeur ne paraît pas tout à fait aboutie.


La transposition façon cabaret, ne serait-ce que parce qu’elle rappelle le prologue de Lulu, constitue certes une bonne idée: la dérision et la violence portées par le texte de Byron et la partition de Schönberg sont ainsi mises en valeur par un décor en abyme – le rideau de Garnier éclairé par une rampe de music-hall – tandis que le récitant – excellent Dale Duesing –, suivi pas à pas par un projecteur, est travesti en Marlene Dietrich, dont il quitte progressivement la tenue et le maquillage pour revêtir la veste et le pantalon rayés, symbole de toutes les incarcérations. Mais ce sera le seul point de jonction avec la suite du spectacle: deux parties indépendantes, séparées par des rappels et une assez longue interruption, permettant, pendant que l’orchestre s’accorde, le changement du décor ainsi que le passage de la scène à la fosse du chef et des cinq interprètes de l’Ode.


Le Prisonnier proprement dit baigne dans une obscurité un peu trop prévisible: jusqu’à la trompeuse et aveuglante lumière finale, les éclairages d’Albert Faura jouent de toutes les nuances sombres, du noir au bleu nuit en passant par le gris, faisant apparaître à l’arrière-plan comme des visions fantomatiques. Le spectacle situe l’action dans un univers plus militaire que carcéral, sans doute un peu plus proche de nous que des années 1950 ou, a fortiori, du XVIe siècle espagnol évoqué par le livret, ce que confirment des extraits de reportages diffusés sur un écran plat. Les costumes d’Isidre Prunés contribuent également à cette adaptation chronologique : ici aussi, les teintes mates et foncées prennent le dessus, hormis quelques inquiétantes blouses blanches et un Grand inquisiteur dont le programme, reproduisant le Portrait du pape Innocent X, suggère une parenté avec la figure hurlante de Francis Bacon parodiant Vélasquez.


Le décor unique de Paco Azorin consiste en une immense structure métallique ronde et tournante: des barreaux, bien sûr, que l’on escalade par des échelles, à l’intérieur, ou des marches, à l’extérieur. Cette fois-ci, le programme suggère, au travers du tableau de Breughel l’Ancien, la Tour de Babel, ce que traduisent bien les escaliers hélicoïdaux qui partent à l’assaut de cet édifice sans fin. Lluis Pasqual met en scène des personnages aux prises avec des forces qui les dépassent et font du sur-place, luttant contre des tapis roulants pour tenter de marcher ou se lançant dans l’ascension sans issue de cette prison rotative: la seule issue possible semble être la mort, administrée au prisonnier par injection létale.


Sous la direction âpre de Lothar Zagrosek, l’orchestre n’offre pas davantage d’échappatoires à cette oppression et à cet enfermement monochromes, d’autant que le public est cerné entre les musiciens et le chœur, qui, pour la scène finale, est placé au poulailler. En revanche, les voix donnent trop souvent une impression débraillée, comme du mauvais Puccini, en particulier le vibrato excessif de Chris Merritt: bref, même ici, c’est le registre grave qui l’emporte, avec le beau timbre et la puissance de Rosalind Plowright, mais surtout Evgeny Nikitin en Prisonnier à la fois émouvant et bien chantant.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com