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Pour de vrai Paris CNSMDP (Salle d’art lyrique) 02/07/2008 - et 10, 12 février (Paris), 2, 4 mars (Besançon), 24, 26 octobre (Limoges) 2008 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527
Sébastien Brohier (Don Giovanni), Luc Bertin-Hugault (Le commandeur), Li Chin Huang (Donna Anna), Abdellah Lasri (Don Ottavio), Isabelle Briard (Donna Elvira), Alexandre Duhamel (Leporello), Ronan Debois (Masetto), Gaëlle Arquez (Zerlina)
Chœur des étudiants du département des disciplines vocales du Conservatoire de Paris, Catherine Simonpietri (préparation du chœur), Orchestre du Conservatoire de Paris, Olivier Reboul (direction, continuo)
Emmanuelle Cordoliani (mise en scène), Victor Duclos (chorégraphie, assistant à la mise en scène), Emilie Roy (co-scénographie, accessoires), Julie Scobeltzine (co-scénographie, création costumes), Bruno Bescheron (création lumière et réalisation), Karine Deest (création coiffure perruque), Corinne Joubert (création maquillage), Stéphane Mir (maître d’armes)
Fosse, plateau, mise en scène, chorégraphie, décors, costumes, lumières (mais pas de rideau): c’est un opéra «pour de vrai» que le Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSMDP) permet aux étudiants du département des disciplines vocales de monter avec la participation de l’Orchestre du Conservatoire, en coproduction avec la Cité de la musique ainsi que les théâtres de Besançon et de Limoges, où ce Don Giovanni (1787) de Mozart sera ensuite présenté.
Et, comme dans les écoles hôtelières qui accueillent régulièrement du public afin de mettre les apprentis dans le grand bain de la vie professionnelle, il y a là une véritable aubaine: un spectacle complet de près de trois heures pour seulement 22 euros. Il n’est donc point surprenant que la Salle d’art lyrique du conservatoire ait été comble pour la première des trois représentations parisiennes: une entreprise d’autant plus ambitieuse et intéressante qu’elle s’accompagne d’une adaptation (réduite à une heure) proposée parallèlement à deux reprises au jeune public.
Bien entendu, il aurait été absurde de se rendre à La Villette pour se lancer dans une comparaison avec «Furtwängler 1954», avec «Giulini 1959» ou même avec l’intéressant travail de René Jacobs à l’automne 2006 à Pleyel (voir ici). On fait visiblement avec les moyens du bord, tant scéniques que musicaux, et à chacun ensuite d’y trouver son bonheur, à commencer par celui, toujours renouvelé, de la fréquentation d’un tel chef-d’œuvre.
Dans ces conditions, on comprend qu’Emmanuelle Cordoliani ait opté pour le symbolisme, avec une mise en scène dans l’esprit d’un «mystère» moyenâgeux, agrémenté de quelques tours de passe-passe, illusions et rideaux de fumée. De même, la scénographie d’Emilie Roy et Julie Scobeltzine tire le maximum d’un assemblage de bouts de ficelle, sorte de théâtre de tréteaux, qui va bien dans le sens de la dimension «giocoso» sans oublier le «dramma»: volontiers grivois et ironique, le propos se fait même cru et cinglant, depuis la robe blanche de Zerlina, tachée de sang après son enlèvement par Don Giovanni à la fin du premier acte, jusqu’à ces pénitents noirs qui accompagnent la chute du héros et cette sinistre faucheuse demeurant seule en scène à la fin du second acte. Le souper précédant l’issue fatale n’est pas moins grinçant: la sérénade y est donnée par un octuor d’aveugles, titubant derrières leurs lunettes noires, tandis que tête de veau ou cochon entier, d’un réalisme incongru, trônent sur les plats.
Les tréteaux, mis en mouvement par les chanteurs eux-mêmes, se font tour à tour estrade pour les musiciens du bal, porche d’une église ou table du dîner final. Durant l’Ouverture, deux croix (ou épées?) peintes sur un drap blanc servent de point de départ pour former progressivement les lettres du sous-titre de l’opéra (Il Dissoluto punito): le drap sert ensuite de voile de mariée lorsque Zerlina se laisse séduire par Don Giovanni puis de nappe engloutissant le «dissolu» à l’issue du «festin de pierre».
La «création lumière» de Bruno Bescheron cultive les ombres et l’obscurité, une impression à laquelle contribuent également les décors – ogives de toutes tailles signalant des portes, une projection suggérant un vitrail. Les anges blancs qui entourent la mort du commandeur puis, au cours de la scène du cimetière, sa statue – dont la figuration, toujours malaisée, n’est ici nullement éludée –n’en deviennent que plus irréels. Les costumes de Julie Scobeltzine évoquent généralement l’Espagne du XVIIIe, à l’exception notable d’une Elvira en lady écuyère, badine en main.
Pianiste dont la discrétion est inversement proportionnelle au talent (voir ici), Olivier Reboul est en outre un chef de chant apprécié des plus grands, à commencer par Boulez. Il restait à découvrir le chef: tout en assurant le continuo au clavecin, baguette entre les dents, en s’attachant à faire la jonction entre les récitatifs et les airs, il est hélas visiblement contraint de se concentrer avant tout sur la mise en place. Le manque d’élan déçoit donc parfois, d’autant que la qualité instrumentale laisse aussi à désirer, en particulier la justesse, sans parler d’un mandoliniste victime d’un sérieux trou de mémoire.
Les chanteurs, dont la plupart adoptent le parti consistant à ornementer, notamment à la faveur des points d’orgue, se tirent globalement mieux d’affaire que les musiciens, à l’exception d’une Elvira problématique, dont on espère que la prestation ne traduit qu’une méforme exceptionnelle. Comme de coutume, certains choix ont été opérés dans la partition, mais ils ne tiennent guère compte des forces et faiblesses de la distribution: pas un récitatif ne manque et l’air d’Elvira est maintenu, alors que le premier air de Don Ottavio est omis et celui de Leporello au second acte est remplacé par le duetto avec Zerlina, principal apport de la version «viennoise» de mai 1788: son moindre intérêt musical est heureusement compensé par une trouvaille cocasse, la paysanne retirant un par un ses dessous pour en ficeler le valet. Il est vrai que l’une comme l’autre sont des atouts maîtres de cette production: Alexandre Duhamel, Leporello à la diction parfaite et à la belle présence, de même que Gaëlle Arquez, redoutable Zerlina, une voix presque surdimensionnée pour le rôle, de même que l’excellent Masetto de Ronan Debois.
La plèbe s’impose plus aisément que l’aristocratie. Sébastien Brohier est un Don Giovanni plus libertin cynique que séducteur flamboyant, à l’aise dans le haut registre mais vocalement un peu terne et léger. Bien chantant, le Don Ottavio d’Abdellah Lasri rencontre toutefois quelques problèmes d’intonation. En revanche, Li Chin Huang – une Donna Anna de fort tempérament, faisant oublier quelques aigus un peu serrés – et Luc Bertin-Hugault – un commandeur qui acquerra sans nul doute de la profondeur avec le temps – offrent d’importantes satisfactions.
Simon Corley
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