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Voulez-vous gagner un mari ?

Cracow
Opéra
11/05/2007 -  Et le 12 novembre 2007
Karol Szymanowski : La Loterie aux maris
Dagmar Bilińska (le Notaire), Iwona Budner*, Małgorzata Hyży-Wypart (Ewa Huck), Katarzyna Krzanowska*, Kamila Mędrek-Żurek (Caroline Williams), Anna Gajzik-Krzyżanowska, Małgorzata Kochan-Dziwisz* (Sara Helgoland), Andrzej Biegun*, Michał Kutnik (l’Impresario), Kazimierz Różewicz*, Janusz Żełobowski (Tobiasz Helgoland), Marcin Herman, Adam Sadzik* (Jack), Ryszard Kalus*, Maciej Michalik (Charly Helgoland), Stan Meus, Adam Sobierajski*, Adam Zdunikowski (Darly Helgoland), Franciszek Makuch (Tim Williams), Joanna Dobrakowska, Bożena Zawiślak-Dolny* (Eveline Huck), Monika Swarowska-Walewska, Bożena Walczyk-Skrzypczak* (Mrs Troodwood), Anna Ciuła-Pehlken, Agnieszka Tomaszewska* (Sara Troodwood), Jan Nosal*, Witold Wrona (Sherlock Holmes), Agnieszka Cząstka, Joanna Dobrakowska* (Molly Troodwood), Michał Wajda-Chłopicki (le Page)
Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra de Cracovie, Piotr Sułkowski (direction)
Józef Opalski (mise en scène)


Qui l’eût cru ? Szymanowski au aussi composé une opérette : La Loterie aux maris ou le fiancé n°69. Nous sommes en 1908 : âgé de vingt-six ans, le compositeur, piaffant d’impatience, voudrait connaître des succès que seule la scène peut donner et gagner ainsi un argent lui permettant d’être tout à fait indépendant, de voyager et de mener une vie de dandy mondain. Il jette alors son dévolu sur un texte de Julian Krzewiński-Maczyński (1882-1943), fils du compositeur Piotr Maszyński, acteur et chanteur, auteur de plusieurs livrets d’opérettes. Une histoire de loterie se passant dans l’Amérique contemporaine, où l’on trouve un club de vieilles filles, un club de joyeux veufs, deux frères un rien voyous, préférant la photographie aux affaires, Charly et Darly Helgoland ; le second, qui croit malgré tout à l’amour, épousera l’élue de son cœur grâce à l’heureux tirage proposant, pour un dollar, de gagner un mari. Achevée en 1909, c’est la première œuvre de Szymanowski pour la scène : le très straussien opéra Hagith ne verra le jour que quatre ans plus tard. Son expérience de l’orchestre, jusque là, se résume à l’Ouverture de concert, à la Première Symphonie - en deux mouvements seulement -, à la cantate Penthésilée. On est donc d’autant plus étonné d’entendre comment il se coule dans le moule de la musique légère, tout en utilisant un grand orchestre. La Loterie aux maris emprunte avec humour à l’opérette viennoise ou à l’opérette américaine : la valse y côtoie le cake-walk et la maxixe, les élans du cœur s’y expriment avec cette pointe de sentimentalisme caractéristique du genre.


L’emprunt tourne très souvent à la parodie amusée : comme Offenbach et ses librettistes, Szymanowski et Krzewiński se régalent visiblement de pratiquer le second degré. Les clins d’œil à Strauss ou Lehár, mais aussi à l’opéra de l’époque, abondent. Le public polonais relève, aujourd’hui encore, des allusions amusées à Moniuszko : les deux frères turbulents descendent des héros du Manoir hanté. Et le page contralto, dont la romance raconte la passion d’une reine pour un page, rappelle les rôles de travesti enamouré du répertoire lyrique. Certains se sont étonnés de voir Szymanowski, que la création d’Elektra avait mis en transe l’année même de la composition de La Loterie, jeter sa gourme dans la musique légère. On adorait, dans la famille, monter des divertissements où l’on se déguisait et où l’on parodiait le grand répertoire, lui-même n’étant pas le dernier à s’amuser, en accompagnant par exemple au piano son frère dans la Danse des sept voiles de Salomé. Le ballet pantomime La Mandragore, destiné à compléter Le Bourgeois gentilhomme de Molière, tel ou tel numéro des Enfantines, dans les années vingt, raviveront ce goût de la facétie, que tariront ensuite l’impécuniosité et la maladie.


L’opérette ne fut jamais représentée. Szymanowski, d’ailleurs, tenait tellement à passer pour un compositeur sérieux qu’il la signa d’un pseudonyme : Whitney. Le texte s’en est perdu et l’Opéra de Cracovie, qui vient d’en assurer la création mondiale avec orchestre et sur scène, a demandé à Wojciech Graniczewski d’imaginer des dialogues reliant de façon cohérente les différents numéros musicaux, quitte à en changer l’ordre. Que vient faire, par exemple, le personnage de Sherlock Holmes ? Il devient ici un rôle à part entière dans une histoire d’héritage, qui se déroule désormais sur deux plans : les trois héritières de l’oncle Charly se retrouvent après sa mort, le célèbre détective leur expliquant à la fin comment elles sont, en quelque sorte, le résultat de la loterie – et ses petites-filles, dont le déroulement constitue la partie proprement musicale du spectacle.


Le dramaturge a travaillé en étroite collaboration avec le metteur en scène Józef Opalski, sous la houlette de Teresa Chylinska, éditrice de l’ensemble de l’œuvre de Szymanowski – musicale, critique et littéraire – et de sa correspondance. La production, pimentée de passages chorégraphiés, fourmille d’idées et de trouvailles, oscillant, comme l’œuvre, entre le musical américain et l’opérette européenne, jouant bien sur le second degré sans appuyer les effets, notamment dans les passages marqués par le pathétique sentimental. Rien d’appuyé non plus lorsque l’aquarium d’Helgoland père laisse voir, en guise de poissons, des jambes de danseuses ou de danseurs alimentant ses fantasmes, ou lorsque la présidente du club de vieilles filles se fait masser par deux éphèbes en chantant ses couplets sur le mariage. La loterie elle-même, où le public est aussi sollicité, se déroule dans une atmosphère d’authentique show. Et la mise en abyme des deux histoires, grâce au grenier en fond de scène où sont enfermées les héritières, fonctionne parfaitement.


La distribution, en revanche, est inégale. Sara et le Page la dominent : Agnieszka Tomaszewska a une belle voix de soprano lyrique léger, à l’aigu clair et facile, une parfaite maîtrise de la dynamique, de l’élégance dans le phrasé. Michał Wajda-Chłopicki, qui fait du Page un emploi de contre-ténor, fait valoir lui aussi un beau timbre, charnu et homogène, ainsi qu’un sens évident de la ligne et du legato. Le Darly d’Adam Sobierajski, en revanche, souffre d’une émission en arrière qui, pour le coup, raidit les phrasés et grippe le timbre. Son frère Charly a plus d’aisance, n’étaient quelques aigus un peu poussés. Pour vétérans qu’ils soient, Franciszek Makuch et Kazimierz Różewicz savent comment on chante l’opérette, ou plutôt comment on la déclame, donnant vie et relief au joyeux veuf et à l’industriel, alors que la vieille fille de Bożena Zawiślak-Dolny et l’impresario d’Andrzej Biegun n’ont pas assez de technique et de style pour faire oublier la ruine de leur voix. Mais le grand point faible reste l’orchestre, très médiocre, que Piotr Sułkowski n’arrive pas vraiment à animer : sa direction relève plutôt de la mise au point, parfois laborieuse, incapable de faire pétiller et mousser la musique de Szymanowski. Si Cracovie prétend au titre de capitale culturelle de la Pologne, elle se doit d’avoir un opéra à la hauteur de ses ambitions.


Cela dit, quelles que soient les réserves que peut inspirer la production, on ne peut que remercier l’Opéra de Cracovie d’avoir ressuscité cette Loterie aux maris dans le cadre du troisième Festival de musique polonaise organisé dans l’ancienne capitale des rois de Pologne. Et souhaiter que d’autres scènes s’en emparent, quitte à imaginer une autre histoire autour de la musique de Szymanowski. Le Châtelet, par exemple…



Didier van Moere

 

 

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