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Expérimentation Paris Cité de la musique 11/10/2007 - Richard Wagner : Lohengrin (Prélude de l’acte I) – Parsifal (L’Enchantement du Vendredi Saint)
Karlheinz Stockhausen : Formel, n° 1/6
Iannis Xenakis : Eridanos
Charles Ives/Larry Austin : Universe symphony (création française)
Noord Nederlands orkest, Joost Geveers, Libia Hernandez, Christian Karlsen, Frank Zielhorst (chefs assistants), Michel Tabachnik (direction)
La conclusion du cycle «Visions wagnériennes (Les influences de Richard Wagner de 1850 à nos jours)» de la Cité de la musique, qui se tient parallèlement à l’exposition «Richard Wagner, visions d’artistes (d’Auguste Renoir à Anselm Kiefer)» au Musée de la musique du 25 octobre au 20 janvier, permettait de retrouver, au lendemain de la création française de l’Acte préalable de Scriabine à Pleyel (voir ici), l’Orchestre des Pays-Bas du Nord (NNO) et son directeur musical, Michel Tabachnik, dans un programme à peine moins original, Wagner étant confronté à trois des personnalités les plus atypiques de la musique du siècle passé.
Ces extraits d’opéras de Wagner proposés en début en en fin de première partie ne resteront pas comme le meilleur souvenir de ce concert: style appuyé et médiocre qualité des timbres, le fils – Prélude de Lohengrin (1848) – ne convainc pas plus que le père – Enchantement du Vendredi Saint de Parsifal (1882).
Formel (1951) ne fut créé qu’en 1971: après Mantra (1970), où la grande forme trouve sa source dans une petite cellule de base, Stockhausen a redécouvert cette page de jeunesse construite selon le même principe, qui sera, à une bien plus grand échelle, celui des sept journées de son opéra Licht (1977-2003). Surtout, la partition, écrite pour douze cordes (sans altos), douze bois et cors (sans flûtes), piano, harpe, célesta et vibraphone/glockenspiel, était, de son propre aveu, «bien trop thématique»: ces unissons, ces doublures et cette séduisante mobilité n’étaient décidément pas dans l’esprit de tabula rasa qui prédominait au début des années 1950, mais témoignent aujourd’hui d’une réjouissante santé postwebernienne.
Eridanos (1972), créé en son temps par Tabachnik, fidèle interprète de Xenakis, tire son nom – que le compositeur traduit par «querelleur» – d’une rivière de l’Athènes antique ainsi que d’une constellation. Mais sa structure est imitée de celle d’un fragment d’acide désoxyribonucléique (ADN): «hydrogène et oxygène portés par les cordes, carbone ou phosphore par les cuivres», au nombre de huit (deux cors, deux trompettes, trois trombones, tuba). Comme de coutume, Xenakis procède par grands gestes spectaculaires, éruptions et contrastes, travaillant sur la couleur, notamment grâce aux différents modes de jeu des cordes, et brossant ainsi une fresque saisissante, entre puissants unissons et chaos sonores.
La Universe symphony, à laquelle Ives s’attela à partir de 1915, date à laquelle la mort interrompit les ébauches de Scriabine pour son Acte préalable, partage de nombreux traits communs avec le Mystère du Russe: un thème métaphysique, qui n’étonnera pas de la part de l’auteur de The unanswered question, admirateur des transcendentalistes; un projet ambitieux, qui devait s’ordonner en trois parties (Passé, Présent et Futur); un état d’inachèvement, tenant entre autres aux difficultés matérielles de mise en place (plusieurs orchestres en plein air dans les «montagnes» et «vallées»…); une lente reconstitution, bien des années plus tard (1974-1993), par un musicien obscur, en l’espèce Larry Austin (né en 1930), créée en 1995 à Varsovie sous la direction de Jacek Kasprzyk, qui, plus de dix ans avant Michel Tabachnik, fut également chef principal du NNO (1991-1995).
La note de programme se montre fort peu diserte sur le travail nécessaire à l’édition de ce qui aurait dû être la sixième symphonie d’Ives – outre les quatre numérotées, il faut en effet compter la Symphonie «New England holidays» – mais, si l’on en croit le site de la Charles Ives Society, le manuscrit comprend trois Préludes, dont le deuxième serait incomplet et le troisième perdu, trois Sections, les deux dernières également incomplètes, et une coda. On y apprend par ailleurs que les parties achevées, faisant appel à un ensemble hors normes (dix flûtes, cinq trombones, …) – ont été éditées par David Porter et qu’une autre tentative de réalisation, d’une durée de plus d’heure, exécutée à New York en 1996, est à mettre au crédit de Johnny Reinhard (né en 1956). Celle d’Austin, déjà enregistrée à deux reprises, exige un effectif un peu moins démesuré et ne dure que trente-six minutes, principalement parce que l’introduction confiée aux percussions («pulsation du cosmos») y est sensiblement plus réduite.
Visiblement passionné par son sujet, Tabachnik, qui a déjà interprété cette «œuvre utopique» à trois reprises en décembre 2005 aux Pays-Bas, explique aux auditeurs l’agencement très particulier que la grande salle de la Cité de la musique a adopté durant l’entracte, afin de rendre justice à la spatialisation des six orchestres souhaitée par le compositeur, qui requiert en outre quatre jeunes chefs assistants, issus du Conservatoire royal de La Haye: trois ensembles sur scène – dont l’un de dos, au centre (bassons et cuivres) – et trois au premier balcon (essentiellement bois et cordes) – dont, au centre, les violoncelles et contrebasses. Chacun de ces ensembles possède son percussionniste, mais s’y ajoutent, au parterre, dix-neuf percussionnistes et un pianiste, dont quinze étudiants du Conservatoire de La Haye – au nombre desquels, cela ne s’invente pas, un certain Gustav Holst.
Ainsi le précise Tabachnik, chaque ensemble et chaque musicien du parterre ont chacun leur propre tempo, la battue étant donnée aux cinq chefs, aux dix-neuf percussionnistes et au pianiste grâce à un système informatique relayé par des oreillettes: un dispositif qui vise à traduire l’aléatoire et le chaos d’avant la création du monde et qui, en même temps, ferait d’Ives un précurseur de Stockhausen (Carré, Gruppen). Quant à Ligeti, a-t-il jamais rêvé superpositions et décalages rythmiques aussi complexes et imprévisibles?
Mais Wagner dans tout ça? La longue tenue de cordes graves qui ouvre la partition évoque certes les premières mesures de L’Or du Rhin, mais, dans un noir presque complet, les percussions entrent peu à peu en jeu, jusqu’à atteindre un vacarme assourdissant et frénétique. Les lumières sont alors rallumées: venant de toutes parts, le son enveloppe le spectateur, mais ce qu’il entend s’apparente bien davantage à Cage ou à Varèse qu’à Ives. Les cuivres tendent à prendre le dessus, puis le calme s’impose, interrompu par un dernier grand tutti qui déclenche une ultime déflagration, avant que le silence ne revienne.
Si l’Acte prélable tient de l’expérience, c’est davantage d’expérimentation qu’il est ici question, mais le public – qui a rempli la salle, il est vrai amputée d’une partie de ses fauteuils au profit des musiciens – réagit avec enthousiasme: Michel Tabachnik et son orchestre, qui ont offert en deux soirs quatre heures de musique, et pas des plus simples, méritent indéniablement cet accueil.
Le site de Karlheinz Stockhausen
Le site de la Société Charles Ives
Le site de Larry Austin
Simon Corley
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