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Gergiev, Belohlavek... et leur orchestre londonien

London
Royal Albert Hall
08/26/2007 -  et 28 août 2007
Benjamin Britten : Quatre interludes marins de «Peter Grimes», opus 33a
Bohuslav Martinů : Concerto pour piano nº 4 (Incantations), H.358
Serge Prokofiev : Symphonie nº 5, opus 100

Ivo Kahánek (piano)
Orchestre symphonique de la BBC, Jiři Bělohlávek (direction)


Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Roméo et Juliette – Hamlet, opus 67 (ouvertures fantaisies)
Serge Prokofiev : Concerto pour piano nº 2, opus 16 – Symphonie nº 7, opus 131

Alexander Toradze (piano)
Orchestre symphonique de Londres, Valery Gergiev (direction)

Cette année encore, pas de pause estivale dans la saison musicale londonienne. Pour sa 113e saison, le festival des Proms aura proposé, du 13 juillet au 8 septembre, un total de 90 concerts à des tarifs raisonnables (dont 72 dans l’immense Royal Albert Hall, d’une capacité de plus de 5 000 places), ainsi qu’un certain nombre d’événements et activités dans des parcs, en famille ou au cinéma… On ne dira jamais assez combien cet événement alliant convivialité et excellence artistique contribue à la promotion et à la diffusion de la musique classique auprès du plus grand nombre. À côté des “tubes” du grand répertoire et des “standards” de la musique britannique, les Proms auront ainsi su, cette année encore, offrir une place de choix aux créations des cinquante dernières années et célébrer les diverses commémorations de l’année 2007 (à commencer par le 150e anniversaire de la naissance d’Elgar et le 50e de la disparition de Sibelius).


La force des Proms est également de savoir aligner les “stars de la baguette”, puisqu’en 58 jours se seront succédé rien moins qu’Abbado, Barenboim, Bychkov, Chailly, (Colin) Davis, Dohnányi, Gatti, Gardiner, Gergiev, Haitink, Jansons, (Paavo) Järvi, Levine, Mackerras, Masur, Norrington, Pappano, Salonen et Tilson Thomas, entre autres pointures. Quant aux formations invitées, il suffit d’évoquer quelques noms prestigieux pour comprendre que les Proms restent sans concurrence parmi les festivals organisés dans les grandes capitales du monde : Orchestre philharmonique de Vienne, orchestres du Gewandaus de Leipzig et du Concertgebouw d’Amsterdam, des festivals de Lucerne et de Glyndebourne, orchestres symphoniques de Boston, de San Francisco, de la Radio bavaroise…


C’est pourtant de la prestation de deux formations typiquement londoniennes dont on rendra compte ici (les orchestres symphoniques de la BBC et de Londres), toutes deux dirigées par leur nouveau directeur musical (respectivement Jiři Bělohlávek depuis 2006 et Valery Gergiev depuis 2007) dans un programme construit autour d’une symphonie de Prokofiev et d’un concerto pour piano. L’orchestre symphonique de la BBC, d’abord : le “régional de l’étape” en quelque sorte, la radio britannique organisant le festival des Proms depuis 1927 et ses musiciens intervenant dans près de la moitié des concerts donnés au Royal Albert Hall.


Si l’engagement et le professionnalisme des instrumentistes de la BBC est constant, la cohésion des pupitres s’affirme progressivement dans le cours du concert, les quelques décalages entre pupitres du début laissant place à une très belle homogénéité d’ensemble, où des cuivres d’une remarquable fiabilité le disputent à une clarinette exceptionnelle. L’objectivité de l’interprétation des Interludes marins de Britten occulte toutefois quelque peu la puissance et l’émotion que ces partitions recèlent. L’approche du chef tchèque rend par contre pleinement justice à la Symphonie en si bémol majeur de Prokofiev, où la ferme tenue de la baguette n’empêche nullement d’éclater les émotions déchirantes des mouvements allegro et la beauté suffocante de l’adagio.


Toute l’originalité de ce programme, très intelligemment construit, réside évidemment dans la présence du si rare concerto Incantations de Martinů, composé en 1956 par un artiste lancé dans une quête existentialiste profonde, le poussant à s’affranchir des structures géométriques traditionnelles du concerto pour piano. Desservi par une acoustique trop imprécise et lointaine, le jeune pianiste Ivo Kahánek livre une interprétation (visiblement) habitée et convaincante de cette œuvre encore largement mésestimée, soutenu efficacement par la battue d’une grande clarté analytique de son compatriote. La coda mystérieuse de la fin du premier mouvement, les incessants dialogues du piano et de la harpe, la répétition obsédante d’un intervalle de deux notes (tels les battements d’un cœur fragile ?) ou encore l’exultation finale marquent durablement, au point de produire l’effet de “magie” recherché par le compositeur lui-même.


Deux jours plus tard, c’est dans un Royal Albert Hall plein à craquer que se présente l’orchestre symphonique de Londres. Des deux pièces de Tchaïkovski ouvrant chacune des parties de ce concert, on garde une impression fort contrastée. Valery Gergiev sait de toute évidence galvaniser les musiciens afin de délivrer un message toujours passionné et des émotions souvent volcaniques. Mais le volcanique n’est jamais loin du dégoulinant et la passion de l’hystérie. Gergiev, qui est une sorte d’anti-Mravinsky, aura en tout cas conquis la salle, même si l’on avouera avoir été davantage touché par la fraîcheur de l’approche dans Hamlet (une vision concentrée, unitaire, tendue, laissant chanter comme un seul homme les merveilleux pupitres de cordes du LSO) que par ce rubato qui donne le mal de mer dans Roméo et cette fluctuation permanente des tempi qui tourne parfois à l’hédonisme (... et met à rude épreuve les facultés respiratoires des vents).


De même, on reste partagé entre admiration et agacement face à l’approche si particulière de Gergiev et Toradze dans le Concerto en sol mineur de Prokofiev. Les deux compères sont restés fidèles à une conception qui avait fait sensation à la fin des années 1990, ce dont témoigne une intégrale avec le Kirov (Philips 462 048 2) et de nombreux concerts, tels ceux relatés ici et ici. Abordant l’œuvre dans une perspective presque “fauviste” (... qui fait souvent déraper les doigts), Toradze continue d’oser des contrastes extrêmes entre les nuances et de désarticuler les accords. Son travail sur le son réussit à rendre certains passages irréels de mystère (dans le finale notamment), faisant de ce concerto une expérience aussi déroutante qu’insolite.


Le concert s’achevait sur une exécution incontestable de l’énigmatique Symphonie en ut dièse de Prokofiev, composée un an avant la mort du maître. Gergiev en livre une lecture presque chambriste, qui captive de bout en bout, jusqu’à un finale dont les dernières mesures irrésolues et l’intervention aussi innocente que terrifiante du carillon font immanquablement penser à la dernière symphonie de Chostakovitch.


Au total, on reste admiratif devant l’excellence de l’Orchestre symphonique de Londres, à la hauteur de sa réputation, et sa capacité à maintenir coûte que coûte une cohésion irréprochable face à la battue toujours aussi énigmatique d’un Gergiev des grands soirs.



Gilles d'Heyres

 

 

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