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Marathon sur ivoire

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
06/19/2007 -  
Johannes Brahms : Concertos pour pianos n° 2, opus 83, et n° 1, opus 15.
Bruno Leonardo Gelber (piano)
Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz, Theodor Guschlbauer (direction)

Salle honorablement remplie pour ce concert de deux artistes bien connus du public strasbourgeois. Theodor Guschlbauer a marqué les mémoires par son long mandat à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, et Bruno Leonardo Gelber a lui aussi laissé beaucoup de souvenirs dans la grande salle du Palais de la Musique. Chacun des fréquents passages du pianiste argentin au cours de ces trente dernières années était l’occasion de retrouver intacte son approche vigoureuse et percutante du répertoire concertant romantique, absence d’afféterie devenant de plus en plus singulière à mesure qu’ont évolué les goûts de l’époque vers des approches moins architecturées, où l’on raffine et minaude davantage selon l’inspiration du moment que l’on n’échafaude ses progressions sur le long terme.


L’âge ne semble pas avoir eu de réelle incidence physique sur le comportement en scène de Bruno Leonardo Gelber, qui gère tout aussi courageusement son handicap moteur qu’hier, en dépit d’une prise de poids importante. Et rien n’a fondamentalement changé non plus dans son jeu. La prise en mains du clavier reste impériale avec une puissance de doigts petits et potelés dont on se demande comment ils parviennent à négocier des écartements aussi importants. Et même si davantage d’accords sont tapés à côté que par le passé, les carrures restent magnifiquement larges et les réserves d’énergie inépuisables. Un pianisme tout en carrures et en punch, mais jamais brutal, qui parvient à dégager de grands écarts de dynamique sans jamais métalliser le son. Pour les Concertos de Brahms, évidemment, un soliste idéal, et certainement l’un des rares aujourd’hui à pouvoir interpréter comme ce soir-là ces deux ouvrages gigantesques à la file.



Les notions de spectaculaire et d’exploit physique, indispensables pour de tels massifs du grand répertoire, sont donc bien au rendez-vous. Mais l’approfondissement et la maturité sont à présent bien perceptibles aussi, Gelber paraissant aujourd’hui encore plus incontestable dans les mouvements lents, et tout particulièrement l’Adagio du 1er Concerto, dont l’art de l’effusion contenue paraît sans grand équivalent aujourd’hui. C’est là sans doute l’apogée de ce concert fleuve. L’ordre choisi, avec les ambiances parfois plus extérieures du 2e Concerto en début de concert, fonctionne sans doute au détriment de ce chef-d’œuvre qui prend dès lors des allures de mise en doigts, l’individualité du style brahmsien par rapport au style du concerto romantique en général y semblant soudain plus relative. Mais dès l'Andante le niveau monte nettement, et l’Allegretto grazioso qui suit, classiquement plutôt un moment de détente, devient ici une page d’une rare intensité. Après l’entracte on ne descendra plus des sommets, chaque nouvelle construction d’accords du 1er Concerto semblant encore plus large et titanesque que la précédente : une lecture d’un grand souffle où Brahms semble imposer à chaque instant son immense personnalité, à la fois sensible et rogue.


Avec ses sonorités patinées, ses attaques adoucies et son bon niveau d’ensemble régional qui n’a rien de brillant à démontrer mais assure avec professionnalisme son travail quotidien, l’Orchestre de la Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz constitue un très efficace faire-valoir pour un pianiste d’une telle prestance. La prééminence du clavier n’est jamais remise en cause et les équilibres sonores sont parfaits. Simplement, on aurait pu espérer de Theodor Guschlbauer davantage d’initiatives, un travail un peu plus structuré que cette lecture simplement fonctionnelle, tout entière à l’écoute d’un pianiste souverain que l’on accompagne mais que l’on peine à traiter comme un possible égal. A défaut du véritable jusqu’au-boutisme collectif qu’un tel programme aurait pu susciter, ce marathon pianistique reste en tout cas un exploit majeur.



Laurent Barthel

 

 

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