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L'orchestre roi

Paris
Salle Pleyel
06/03/2007 -  et 23 (Roma), 25 (Rotterdam), 28 (Valladolid), 30 (Barcelona) mai, 1er (Valencia), 5 (Köln), 7 (Bruxelles) juin 2007
Rossini : Tancrède
Bernarda Fink (Tancrède), Rosemary Joshua (Amenaïde), Lawrence Brownlee (Argirio), Anita Chierichetti (Roggiero), Federico Sacchi (Orbazzano), Elena Belfiore (Isaura)
Orchestre des Champs-Elysées, The English Voices, René Jacobs (direction)

Arguant de la continuité entre le seria mozartien et le seria rossinien, René Jacobs s’attaque au premier essai en la matière d’un maître de Pesaro à peine âgé de vingt-et-un ans, non sans avoir fait au préalable ce travail philologique qui rend toutes ses interprétations passionnantes. Il ne nous déçoit pas : si l’on prétend chercher en vain l’orchestre de Rossini, il faut rendre les armes. Avec une évidente gourmandise, le chef gantois montre, comme à son habitude, un art très raffiné des timbres et des rythmes, faisant presque passer les remarquables musiciens de l’Orchestre des Champs-Elysées au premier plan, animant chaque note en vrai chef de théâtre, rendant inutile toute mise en scène ou en espace. Il ne suffit pas de jouer à l’ancienne pour être justifié. La succession de numéros se mue ici en un drame dont la tension ne se dément jamais, avec un premier finale où passe le grand souffle de la tragédie, des crescendos savamment maîtrisés qui n’ont rien de mécanique, sans parler de récitatifs habités retrouvant leur raison d’être. Aucun de ces numéros ne paraît interchangeable : chacun a son atmosphère, sa couleur – chœur martial où les trompettes éclatent et les timbales roulent au premier acte, par exemple, air concertant d’Aménaïde avec cor anglais au second, dont l’introduction instrumentale en dit déjà beaucoup. Bref, on ne s’ennuie pas un instant à l’écoute de ce melodramma eroico tiré de Voltaire, dont Stendhal se régalait, y percevant « le génie dans toute sa naïveté », et qu’on a souvent réduit au fameux air d’entrée du héros « Di tanti palpiti ». Pour la fin, René Jacobs a préféré le lieto fine de la création vénitienne à celui de Ferrare, autrement dit de ne pas faire mourir Tancrède victorieux dans les bras de sa bien-aimée innocentée : il a musicalement raison, quitte à trahir Voltaire.


Pour ne pas être étouffé par un tel orchestre, il faut des voix à sa hauteur. Ce n’est pas vraiment le cas de Bernarda Fink, un peu pâle en Tancrède. La technique, le style sont irréprochables et on lui accordera volontiers le droit de chanter les variantes destinées à la Pasta, qui n’avait pas la voix du contralto musico de la création. Cela dit on attend ici, à défaut de retrouver Marilyn Horne, une voix plus opulente, plus richement timbrée et, surtout, une flamboyance, une générosité dans le chant. La chanteuse ne nous les donne pas, contrainte par la modestie relative de ses moyens à une composition trop intériorisée, plutôt mélancolique, d’où tout l’héroïsme du personnage disparaît, comme si Tancrède était une réincarnation du Sextus mozartien – qu’elle a justement enregistré avec René Jacobs, ce qui n’est que partiellement recevable. On est beaucoup plus convaincu par Rosemary Joshua, elle aussi souvent associée au chef, pourtant inattendue dans ce répertoire. Certes la voix n’est pas non plus très grande, loin de là, mais elle est homogène, fruitée et se projette parfaitement ; Aménaïde, de surcroît, n’appelle pas la même vaillance que Tancrède. Et Rosemary Joshua phrase délicieusement, vocalise agilement, colore joliment ses phrases. Si Tancrède a un côté Sextus, elle aurait peut-être un côté Servilia, une Servilia si émouvante, si investie qu’on se laisse attendrir. La plus grande surprise vient toutefois du ténor Lawrence Brownlee, qui illustre, pour le coup, le chant orné rossinien, avec une voix longue et bien timbrée, des passages très assurés, aussi sonore dans le grave que dans le contre-ré, une vocalisation à la fois aisée et expressive : l’air d’entrée du second acte, assez redoutable, est magnifique de facilité et de musicalité, le ténor n’oubliant jamais qu’il incarne un père devant sacrifier sa fille. Les comprimarii ne déméritent pas, du bon Ruggiero d’Anna Chierichetti à l’Orbazzano à la très belle voix de basse de Federico Sacchi, qui parvient à exister malgré l’absence d’air, seule l’Isaura d’Elena Belfiore semblant un peu scolaire. Seize voix masculines constituent les chœurs, seize solistes finalement, remarquablement préparés par Tim Brown.


On espère bien que René Jacobs n’arrêtera pas là son incursion en terre rossinienne.



Didier van Moere

 

 

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