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Chefs-d'œuvre et gourmandises Strasbourg Opéra National du Rhin 03/29/2007 - Lieder et Mélodies de Mahler, Schumann, Wolf, Duparc, Debussy, Sauguet, Capdevielle, Hahn, Coward, Messager, Straus, Offenbach, Yvain Felicity Lott (soprano), Graham Johnson (piano) Bien que ce récital très attendu ait dû être reporté de quelques mois pour raisons de santé, c’est finalement en excellente forme qu’un public strasbourgeois fidèle a pu retrouver sa diva si délicieusement franco-britannique, une artiste décidément indispensable dans le paysage lyrique actuel. A peine quelques petits incidents résiduels dans les notes de passage vers l’aigu, en général très bien surmontés, révèlent encore des problèmes liés à une remise en route de l’instrument relativement récente, mais pour l’essentiel c’est à un récital de très haut niveau artistique et vocal que l’on a pu assister.
Programme sans surprise pour qui connaît bien le répertoire couramment défendu par Felicity Lott (la soirée donnée à Paris au Châtelet en décembre 2006 était quasiment identique), mais dont on peut déguster chaque pièce avec un plaisir constant, y compris dans la partie allemande du récital. Car si Felicity Lott a su s’acclimater à la culture française avec une assurance et un chic délicieux, on aurait tort d’oublier qu’elle reste aujourd’hui avant tout une voix de référence pour le répertoire straussien et plus généralement pour le Lied, avec ce que cela suppose de musicalité, de tact et de raffinement. Si à Strasbourg ses Mahler déçoivent un peu, c’est sans doute davantage à cause de la réduction des Rückert-Lieder au cadre trop intimiste du piano seul, dont même Graham Johnson n’arrive pas à faire oublier le manque de variété et de couleurs par rapport à un grand orchestre. Et la tessiture non plus n’est pas favorable à une voix restée très claire (l’omission d’Um Mitternacht s’explique assez bien dans cette perspective là). Cela dit l’émotion est bien au rendez-vous dans Ich bin der Welt abhanden gekommen, même si les moyens expressifs ne sont évidemment pas les mêmes que ceux déployés par les mezzos plus coutumières de ce répertoire. Superbe postlude pianistique pour ce dernier Lied, malheureusement saboté par les quintes de toux… de la tourneuse de pages (!!).
Après ce premier échauffement, toute la suite de la première partie va se tendre comme un arc, avec un discret passage de relais de Rückert à Goethe au cours d’un groupe de Lieder de Schumann impeccablement soutenus et détaillés, suivi d’indéniables sommets dans la partie Wolf, d’un raffinement digne de la grande école de Schwarzkopf et Fischer-Dieskau. Avec peut-être le rien de naturel supplémentaire qui rend cette musique irrésistible, ou du moins pleinement accessible (ce qui en matière de Lieder d’Hugo Wolf est un merveilleux exploit). La perfection de l’articulation allemande (avec de vraies prouesses d’intonation dans certaines phrases d’Anakreons Grab, qui cernent admirablement l’indicible mélancolie de cette pièce), le pouvoir d’évocation d’un timbre à présent riche et varié, nous valent enfin un Kennst du das Land d’anthologie, d’une implication et d’une présence véritablement lyriques qui élargissent fermement, sans timidité ni excès, le cadre intimiste du Lied.
Seconde partie plus prévisible, où le public peut retrouver sa Felicity Lott de prédilection, celle qui sait si savoureusement s’amuser. Petite période de concentration néanmoins requise encore, pour un florilège subtil de Mélodies sur des Poèmes de Baudelaire, qui associe le très connu (Duparc et Debussy) au très rare (Le Chat de Sauguet, Je n’ai pas oublié de Pierre Capdevielle) : monde baudelairien de passage entre Lied et Mélodie, où la voix peut se déployer à l’aise jusque dans les émois quasi-wagnériens d’un Jet d’eau debussyste d’un très fort pouvoir d’évocation. Et puis ensuite, quand même, on se lâche : Felicity Lott se mue en Hortense Schneider, Yvonne Printemps, voire Yvette Guilbert, avec cette petite pointe résiduelle d’accent british qui achève de rendre la composition craquante et fondante à souhait. Inutile d’y revenir, tant ce genre de moment de complicité reste irracontable. Attardons nous simplement sur les Air de la lettre de Reynaldo Hahn et Valse des Adieux d’Oscar Straus , miniatures sans prétention apparente que Felicity Lott transforme en instants de poésie d’une mélancolie indicible, qu’elle rendrait même dignes d’un final du 1er Acte du Chevalier à la rose: de brefs moments d’éternité passent...
Bis en cascade enfin, qui complètent la galerie de portraits avec le classique Ô mon bel inconnu de Reynaldo Hahn, sur un texte de Guitry bien affûté, l’indispensable Belle Hélène, réglée comme un petit bijou d’horlogerie, encore plus désopilante, si c’est possible, que pendant les représentations du Châtelet déjà légendaires, une Périchole franchement pompette, mais aussi l’envoûtant Je chante la nuit, valse sérénade écrite par Maurice Yvain pour Yvonne Printemps, et enfin, puisque décidément on ne parvient pas à se quitter, l’air fameux des Trois Valses d’Oscar Straus où l’ex-Madame Guitry se donnait naguère ses célèbres allures d’ «enquiquineuse»… Dernières délicieuses coquetteries d’une artiste si délibérément proche de son public et pourtant si naturellement diva : une grande dame du chant, dont on n’ose à peine chuchoter qu’elle vient de fêter ses soixante printemps.
Laurent Barthel
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