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Totems réchauffés Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 04/12/2007 - et le 13 avril 2007 Philippe Schoeller : Ritualis Totems, pour orchestre et chœur.
Maurice Ravel : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur
György Ligeti : Magany - Ejszaka - Reggel, pour choeur a cappella
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n°41 K 551 «Jupiter»
Jean-Philippe Collard (piano), Choeur de l’OPS, Catherine Bolzinger (chef de chœur), Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Julia Jones (direction) Que penser de ces timides greffes d’œuvres contemporaines, tout au plus une à deux fois par an, que l’on tente dans des saisons de concerts réservées pour l’essentiel au grand répertoire ? Au mieux l’accueil du public se borne à une incompréhension polie. Au pire, si quelques provocations ou borborygmes incongrus viennent se glisser ici ou là, l’œuvre déstabilise complètement un auditoire non préparé. De toute façon le bilan reste maigre, hormis la bonne conscience d’avoir essayé de sortir pour un soir la musique savante moderne des circuits spécialisés où elle vivote sous perfusion. Et si d’aventure ce phénomène d’ouverture se répète un peu plus souvent, ce qui serait pourtant le seul moyen de commencer un semblant d’initiation à des habitudes d’écoute différentes, le public ne manquera jamais de se raréfier en l’espace de quelques saisons. Dilemme !
Proposer Philippe Schoeller et ses Cinq Totems dans ce rôle ingrat d’invité contemporain pas vraiment désiré, n’est pas un mauvais choix, tant la qualité d’écriture de ces pièces d’orchestre d’une plasticité volontiers agréable à l’oreille reste de nature à ne pas trop indisposer. Le public s’ennuie assez vite mais l’opulence des effectifs, voire un réel art de la mise en scène dans l’utilisation des masses sonores lui préserve quand même l’impression d’une certaine narrativité. Philippe Schoeller utilise subtilement le grand orchestre, écriture décorative faisant valoir tantôt de beaux effets d’ensemble tantôt des instants de poésie homéopathique plutôt réussis, même si tout cela reste davantage de l’ordre de l’ambiance sonore changeante que de la construction d’envergure. A ce titre on n’est pas sûr que ces Cinq Totems, chaleureusement accueillis lors de leur création parisienne au Festival Présences 2001, gagnent à être fondus en un faux continuum : déguisés à présent en Ritualis Totems et déséquilibrés par la greffe d’un épisode choral peu passionnant, ces cinq fragments perdent leur singularité d’études symphoniques de caractère au profit d’un effet d’accumulation en longueur dont on perçoit mal l’intérêt, si ce n’est de recycler à peu de frais un travail qui date déjà un peu. Plus amusant : l’ajout d’une sorte de mise en scène initiale, l’orchestre passant imperceptiblement du brouhaha d’accord habituel à une séance d’organisation préliminaire qui fait déjà implicitement partie de l’œuvre écrite. Moment assez poétique, qui s’effectue apparemment sans intervention du chef… jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’en fait Julia Jones est déjà présente, discrètement assise sur le podium, entrée en même temps que les derniers musiciens et prête à prendre le commandement une fois ces premières minutes de faux échauffement instrumental accomplies.
Après un changement de plateau heureusement court, Jean-Philippe Collard, silhouette juvénile mais chevelure désormais blanchie, s’installe devant son piano et l’aventure d’un Concerto en sol sans doute peu répété démarre à vive allure. Julia Jones se révèle une accompagnatrice attentive, précise, efficace. Les premiers pupitres surnagent bien, trompette et trombone inclus. Le pianiste traite globalement des traits virtuoses qui passent parfois aux limites de l’accroc. Bref, en dépit des secousses, tout le monde s’accroche aux branches avec beaucoup de classe, et la fête basque défile à bon régime. Mise en place correcte aussi pour le dernier mouvement, pianistiquement exigeant mais peut-être plus facile à caler rythmiquement. Reste malheureusement l’impression tenace que piano et orchestre ne parviennent jamais à s’écouter. Il est d’ailleurs probable que le soliste n’entende effectivement pas l’orchestre : de nombreux petits décalages apparaissent dès que le regard de Jean-Philippe Collard, parfois absorbé par le contrôle des doigts, ne fixe pas le chef. La dernière section du second mouvement en perd beaucoup de poésie, les contraintes digitales de l’écriture en triple croches de la main droite imprimant à toute la construction verticale un vilain effet de patinage collectif. Splendide palette de couleurs ravéliennes en bis, pour des Oiseaux tristes d’une prenante ambiance sombre. Moins bridé que dans le Concerto Jean-Philippe Collard détaille avec sensibilité les longs passages « presque ad libitum » de cette pièce mystérieuse et factice: très belle idée de bis en tout cas, par un pianiste que l’on n’entend plus assez souvent.
En début de seconde partie trois brèves œuvres chorales a capella de György Ligeti dirigées par Catherine Bolzinger donnent à l’excellent Chœur de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg davantage d’occasions de briller que la brève interpolation, plutôt terne, ménagée par Philippe Schoeller dans ses Totems. Cela dit, même popularisées par quelques chœurs de chambre d’élite qui les ont utilisées pour arrondir leur répertoire en pièces brillantes pas trop difficiles d’accès, ces œuvres de relative jeunesse n’ajoutent rien à la gloire de Ligeti. Il est dommage qu’un public qui ne connaît pas forcément bien l’envergure d’un tel compositeur ne puisse en retirer que ce genre d’image de suiveur folklorisant de Kodaly et Bartok.
En conclusion, la Symphonie « Jupiter » aurait pu permettre d’apprécier les talents mozartiens de Julia Jones, dont on avait admiré à Salzbourg en 2005 une direction de l’Enlèvement au Sérail d’un remarquable naturel. Malheureusement, cette gestique élégante mais relativement peu interventionniste, qui pourrait largement suffire à un ensemble dont Mozart constitue le bagage courant, ne permet pas l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg de dépasser le stade d’une lecture propre mais sans motivation apparente. Les vents s’en tiennent au service expressif minimum, à une jolie intervention du basson près, et du côté des violons I et II certaines phrases semblent tout juste lues. Quelques ébauches d’architecture fuguées un peu plus vigoureuses dans le Finale, quelques timides tentatives de construire des phrasés, perceptibles par exemple dans les quatre premières mesures de l’Andante cantabile, mais pour le reste la simple routine d’une partition trop peu travaillée au quotidien.
Laurent Barthel
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