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Lucia di Lammermoor Marseille Opéra 04/14/2007 - et 15, 18, 20 avril 2007 Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor Patrizia Ciofi (Lucia), Salvatore Cordella (Edgardo), Fabio Maria Capitanucci (Enrico), Wojtek Smilek (Raimondo), Sébastien Guèze (Arturo), Murielle Oger-Tomao (Alisa), Christophe Berry (Normanno)
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille, Luciano Acocella (direction musicale)
Frédéric Bélier-Garcia (mise en scène), Jacques Gabel (décors), Katia Duflot (costumes), Franck Thévenon (lumières)
Nouvelle production – en coproduction avec l’Opéra de Lausanne.
Les esprits chagrins diront que Lucia di Lammermoor est fait d’invraisemblances et d’effets purement théâtraux. Sans être complètement faux, cela oblitère ce qui fait le caractère même, et son génie, de ce joyaux du bel canto : un romantisme échevelé et tragique, proche, par certains côtés, du genre gothique. On ne cherche pas le réalisme dans une œuvre pareille, mais son « ambiance ». Quant à la musique, elle est tout simplement somptueuse, confinant même au sublime avec le grand sextuor et chœurs du deuxième acte.
C’est ce qu’ont bien compris tous les acteurs de cette nouvelle production de l’Opéra de Marseille, co-signée par l’Opéra de Lausanne. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia qui fait dans la sobriété, voire l’austérité, est résolument tournée vers la noirceur effrayante du drame sanglant qui se joue devant nous. Peu de mouvements de masse sur le plateau, comme pour souligner que les témoins du drame ont le souffle coupé par l’horreur dont ils sont les témoins. Tout ce qui pourrait apparaître clinquant, superficiel, et détourner l’attention est gommé ; costumes d’une grande sobriété : noirs, blancs, ou gris. Sièges recouverts de tissus, éclairages inquiétants en clair-obscur. Même les lumières de l’immense lustre manquent volontairement d’éclat ; et cette forêt, qu’on dirait tout droit sortie du cauchemar le plus affreux se noie progressivement dans le rouge du sang qui va couler, semblant emprisonner les protagonistes. Tout semble indiquer qu’une chape de plomb pèse sur la scène. Et ça marche. On adhère totalement, on se laisse prendre, l’alchimie fonctionne à merveille.
Côté musical, c’est le ravissement. Patrizia Ciofi, que les Marseillais avaient applaudi à tout rompre en 2004 dans les trois rôles des Contes d’Hoffmann est, à ce jour, une des meilleures – sinon la meilleure – Lucia au monde. Déjouant les pires difficultés de ce rôle écrasant avec une aisance déconcertante, La Ciofi est souveraine, tragique, bouleversante. La timbre de voix est superbe dans tous les registres, le legato irréprochable, les aigus étincelants, les piani éthérés et la pyrotechnie réglée comme un ordinateur. Et point d’artifice de diva pour séduire ou racoler, seulement un immense talent. Brava, chère Madame. Revenez vite à Marseille. Le reste de la distribution souffre un peu de la comparaison, même si tous les autres chanteurs s’en sortent de façon plus qu’honorable. Fabio Maria Capitanucci possède une ample voix de baryton et signe un Arturo inflexible et hautain. Le Polonais Wojtek Smilek grâce à une puissante voix de basse confère à Raimondo une autorité bien venue. Les ténors (Salvatore Cordella en Edgardo et Sébastien Guèze en Arturo) signent eux aussi une prestation de qualité, ainsi que Murielle Oger-Tomao en Alisa et Christophe Berry en Normanno.
Dirigé par Pierre Iodice, le chœur fait encore un travail remarquable de cohésion et de musicalité. Sous la houlette très belcantiste de Luciano Acocella, l’orchestre de l’Opéra de Marseille donne le meilleur de lui-même, distillant cette sublime musique avec un art consommé. Il était évident que solistes, choristes et musiciens avaient plaisir à travailler sous sa férule. On ne dira jamais assez, d’ailleurs, les progrès réalisés par cette formation, grâce à la qualité du recrutement, mais aussi au travail des grands chefs qui se succèdent à Marseille depuis plusieurs années, et notamment le premier d’entre eux, Patrick Davin, qui a permis à l’orchestre de se hisser à un très haut niveau.
Un public marseillais en délire, bien entendu...
Christian Dalzon
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