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Incontestable et incontesté

Paris
Théâtre du Châtelet
03/28/2007 -  et 30 mars, 1er, 2, 4, 6 avril 2007
Johann Sebastian Bach : Johannes-Passion, BWV 245

Luca Pisaroni (Jésus), Pavol Breslik (L’Evangéliste), Emma Bell (soprano), Andreas Scholl (alto), Finnur Bjarnason (ténor), Christian Gerhaher (basse), Simon Kirkbride (Pilate), Richard Savage (Pierre), Jeremy Budd (serviteur), Aurore Bucher (servante)
Orchestre et Chœur du Concert d’Astrée, Denis Comtet (chef de chœur), Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Robert Wilson (mise en scène, lumières, décors et chorégraphie), Frida Parmeggiani (costumes), Ellen Hammer (dramaturge)


L’activité est saisonnière, mais le Châtelet s’efforce d’y apporter une touche d’originalité: en effet, la Passion selon saint Jean (1724), cette saison, ne figure pas dans la rubrique «Concerts» mais dans la catégorie «Lyrique», et c’est en coproduction avec l’Opéra national de Lituanie que six représentations en seront données dans une mise en scène de Robert Wilson.


Comme les siècles passés ont démontré que la partition se suffit évidemment à elle-même, ne serait-ce qu’en raison de la fonction confiée à l’Evangéliste, une telle démarche – même si elle ne contredit pas, particulièrement dans la Saint Jean, un texte narratif au fort pouvoir dramatique que ne possèdent certes pas tous les livrets d’opéras baroques ou même contemporains (tel Saint François d’Assise de Messiaen, pour demeurer dans le même registre), même si elle n’est pas nouvelle, Pizzi s’étant notamment livré au même exercice voici plus de vingt ans à Venise puis à Paris et la Messe en si ayant déjà fait l’objet d’adaptations scéniques – n’en paraît pas moins destinée, par son caractère risqué, peut-être présomptueux et, qui sait, sulfureux, à intriguer la galerie, à inquiéter le puriste et à attirer le snob.


Mais chacun y a visiblement trouvé son compte puisque l’Américain et son équipe ont reçu un accueil unanimement chaleureux, alors même que certains de leurs précédents concepts, à commencer par le Ring présenté en ce même lieu, avaient suscité des réactions négatives, quand bien même nul ne pouvait ignorer, au vu des constantes de leur travail au fil des décennies, ce à quoi l’on devait s’attendre. Au demeurant, il est un signe qui trompe rarement: deux heures durant – comprenant trois minutes d’interruption, entre les première et deuxième parties de l’œuvre, à attendre un changement de plateau dissimulé par un hideux rideau dont le caractère figuratif (un vautour sur un arbre mort) rompt avec l’épure générale – les spectateurs avaient observé un recueillement inaccoutumé.


Au regard du style de Wilson et des qualificatifs qui s’y attachent généralement, y avait-il en fait tant à craindre de son intervention, hormis son côté éventuellement superfétatoire? Bien loin de la provocation, et encore moins du sacrilège, son refus des ressorts faisant traditionnellement naître l’émotion, qui entre parfois davantage en collision avec le répertoire d’opéra classique ou romantique, devient ici un atout plutôt qu’un handicap. L’économie de moyens et l’intemporalité, notamment, tiennent ici lieu de vertu, même si les éléments de scénographie (lance, couronne d’épines, manteau pourpre) se révèlent plus explicites qu’à l’habitude.


Cela étant, non seulement l’abstraction ne perd pas ses droits, avec ces poutres sombres décrivant, sur de discrets filins perpendiculaires installés en fond de scène, de lentes trajectoires obliques, ascendantes ou descendantes, et s’ingéniant à ne jamais former complètement une croix, mais la réalisation témoigne plus généralement d’un louable souci de ne pas se laisser influencer par l’important référentiel pictural et artistique associé à la Passion, en ne cédant pas à la tentation de reconstituer naïvement des «tableaux vivants», ou même simplement de les suggérer.


Et, bien entendu, la signature de Wilson demeure immédiatement reconnaissable: lents déplacements en marche avant ou arrière, raideur subite des poses, lumières allant du bleu le plus profond au blanc le plus intense, obtenant au besoin de somptueux clairs-obscurs, comme pour le visage du Christ, costumes de Frida Parmeggiani – magnifique lin écru pour les choristes, sur lesquels les éclairages peuvent jouer à plein – rehaussés le cas échéant de couvre-chefs géométriques. Au sein de ce dispositif, Lucinda Childs se voit accorder une grande autonomie, dansant seule, sur sa propre chorégraphie, dans une robe blanche dont la longueur est parfois encore accrue par une immense traîne: un apport qui, s’il ne dénature pas la vision d’ensemble, ne lui apporte pas non plus une contribution décisive.


Dans la logique d’un spectacle d’opéra, un surtitrage impeccable est affiché, de même qu’est mis en vente un programme de qualité, dont on regrettera toutefois qu’il fasse l’impasse sur le texte chanté, que ce soit en allemand ou en français. Mais de façon quelque peu paradoxale, on aura connu des versions de concert… plus théâtrales. Cela tient d’abord aux choix interprétatifs d’Emmanuelle Haïm, plus intériorisés à la façon d’un Herreweghe que contrastés à la façon d’un Harnoncourt. Cela tient également, avec ces tutti confus et ces soli sacrifiés, à un certain étouffement du Concert d’Astrée dans la fosse: puisque fosse il y a, l’orchestre ne passe pas la rampe. Le chœur, presque toujours physiquement sollicité mais pas moins précis et cohérent de bout en bout, n’en est que davantage mis en valeur.


En Evangéliste monacal et hiératique, Livre ouvert, revenant régulièrement rejoindre la place qui lui est dévolue côté cour, où un modeste agencement lui permet de se tenir assis légèrement surélevé, Pavol Breslik s’impose sans peine, quoique sans doute plus vocalement que stylistiquement. Le Jésus de Luca Pisaroni compense un idiomatisme relatif – mais aussi une projection quelque peu limitée – par la manière dont il s’investit dans son rôle. Quant à Simon Kirkbride, il campe un Pilate finement nuancé, tant dans le personnage que dans la voix.


Les quatre solistes interviennent, comme l’Evangéliste, côté cour, de trois quarts face à la salle, à l’exception de la soprano, qui évolue du côté jardin vers le centre. Curieusement, ils semblent tous peiner dans leur premier air, pour livrer ensuite des prestations de toute beauté: poignant «Zerfliesse, mein Herz» d’Emma Bell; couleurs inouïes, si l’on ose dire, du livide «Es ist vollbracht» d’Andreas Scholl; ligne de chant très soignée du ténor Finnur Bjarnason et de la basse Christian Gerhaher.


Pari tenu que ce nouveau projet de Robert Wilson: incontestable dans sa mise en œuvre, incontesté dans sa réception par le public.


Le site du Concert d’Astrée



Simon Corley

 

 

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