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L'opéra qui offusqua Staline

Geneva
Grand Théâtre
03/08/2007 -  et les 10, 12, 14, 16 et 18* mars
Dimitri Chostakovitch: Lady Macbeth de Mzensk
Vladimir Matorin (Boris), Gordon Gietz (Zinovi), Stephanie Friede (Katrina), Nikolaï Schukoff (Sergueï), Elena Gabouri (Aksinia), Alexandre Kravets (le Balourd miteux), Alexandre Vassiliev (le Pope), Slobodan Stankovic (Un sergent de police), Nora Sourouzian (Sonietka), Feodor Kuznetsov (Un vieux bagnard)
Chœur du Grand-Théâtre, Ching-Lien Wu (direction), Chœur Orpheus de Sofia, Krum Maximov (direction) Orchestre de la Suisse romande, Alexander Lazarev (direction)
Nicolas Brieger (mise en scène)


Après Katerina Ismaïlova en concert au Châtelet (lire ici), Lady Macbeth de Mzensk à Genève. Dans les deux cas, deux superbes soirées. Aleksander Lazarev, si bruyant dans L’Amour des trois oranges à Bastille (lire ici), se garde ici de toute surenchère dans les contrastes et les effets, revendiquant la dimension symphonique que Chostakovitch lui-même déclarait avoir imprimée à sa partition : tout s’enchaîne admirablement, alors que l’opéra pourrait être un patchwork d’emprunts, de références et de clins d’œil. Il n’oublie pas pour autant le théâtre : l’orchestre prend en charge tout le drame, du fameux interlude "pornophonique" à la plainte désolée du Vieux bagnard. L’acoustique du Grand Théâtre restitue maintenant la sonorité de l’orchestre sans l’assécher et une musique comme celle-ci a tout à y gagner, notamment dans les passages lyriques, où le chef russe ne craint pas de s’épancher, en particulier lorsque Katerina exprime sa frustration ou son désespoir. La comparaison avec la direction de Tugan Sokhiev, de ce point de vue, ne manque pas de sel : Katerina Ismaïlova paraissait au fond plus grinçant que Lady Macbeth, comme si l’on voulait nous rappeler, à Genève, que l’opéra, aussi féroce soit-il, reste avant tout un drame de la solitude.
Nicolas Brieger, qui a offert sur la même scène une très belle Ville morte la saison dernière (lire ici), l’a bien compris. La propriété des Ismaïlov, où Katerina étouffe, est entourée de murs qui pourraient déjà être ceux d’un camp sibérien. Dans cet espace clos, le metteur en scène adopte un parti pris de réalisme faisant écho à la musique et rappelant parfois les toiles de l’école russe, comme la scène de la noce, haute en couleur, ou le tableau final, avec ce brouillard neigeux tombant sur la steppe blanche. Rien n’est éludé, ni le viol collectif d’Askinia, ni les étreintes furieuses des amants, ni la corruption de la police, le naturalisme n’excluant pas l’humour ou la dérision. Lady Macbeth est bien ici « la tragédie satirique » dont parlait le compositeur : égarée dans un monde hypocrite, cupide et cruel, obsédé surtout par le sexe – jusqu’aux policiers astiquant leur matraque fichée dans leur bas-ventre -, Katerina, elle-même victime des brûlantes révélations d’Eros, n’a aucune issue. Heureusement, les chanteurs sont aussi des comédiens accomplis, ce qui sauve justement de la vulgarité les scènes de sexe dont Staline s’offusqua, trouvant une telle œuvre, où tout le monde en prend pour son grade, incompatible avec l’édification du paradis socialiste.
La distribution est remarquable d’homogénéité. Stephanie Friede a la voix qu’il faut, celle d’un grand soprano lyrique. Du grave à l’aigu, rien ne la gêne dans un rôle pourtant redoutable et elle le chante toujours, ce qui n’est pas toujours le cas, moins hystérique que malheureuse, trompée par tous. On n’en dira pas autant du trop monolithique Nikolaï Schukoff, naguère Siegfried du Crépuscule des dieux (lire ici) et demain Don José au Châtelet : s’il a la gueule et le physique de l’emploi, la raideur de l’émission le contraint à pousser constamment ses aigus. Le Boris de Vladimir Matorin n’a pas de mal à lui ravir la vedette : lui aussi chante son rôle, libidineux et sadique certes, mais sans histrionisme, désabusé aussi, frustré, parfois pitoyable. Très à l’aise dans l’aigu, Gordon Gietz serait, pour un peu, presque trop séduisant vocalement pour l’impuissant et veule Zinovi. Les figures traditionnelles de la Russie populaire sont bien là : Balourd miteux inquiétant et truculent d’Alexandre Kravets, Pope stupide et voyeur d’Alexandre Vassiliev, Sergent de police envieux et dangereux de Slobodan Stankovic.
Rien n’était plus justifié, dans la foulée du centenaire de Chostakovitch, que la reprise de cette production de 2001 (lire ici). Elle confirme que Lady Macbeth de Mzensk est un des plus grands opéras du vingtième siècle.




Didier van Moere

 

 

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