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Grande réussite Bruxelles La Monnaie 03/09/2007 - et 11*, 13, 15, 18, 20, 22 et 24 mars 2007 Benoît Mernier : Frühlings Erwachen Kerstin Avemo/Ilse Eerens* (Wendla Bergmann), Thomas Blondelle/Andrew Tortise* (Melchior Gabor), Nikolay Borchev/Holger Falk* (Moritz Stiefel), Gaële Le Roi/Liesbeth Devos* (Ilse), Diana Axentii (Martha), Angélique Noldus (Thea), Michele Angelini/Jeroen de Vaal* (Hänschen), Johannes Weiss/Lars Piselé* (Ernst), Sabine Garrone (Georg), Patrick Schramm (Otto), Anna Pierard (Frau Bergmann/Frau Gabor), Konstantin Wolff (Herr Gabor/Der vermummte Herr)
La Choraline, chœur de jeunes de la Monnaie, Benoît Giaux (chef de chœur), Orchestre Symphonique de la Monnaie, Jonas Alber (direction)
Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Cathy Pill (costumes), Alain Poisson (éclairages), Catherine Nicolas (maquillage et coiffure)
Pourquoi Frühlings Erwachen, le premier opéra de Benoît Mernier, est-il si séduisant, si bouleversant, si interpellant ? Pourquoi la nouvelle création de la Monnaie est-elle si réussie ?
Tout d’abord parce que le propos de la pièce éponyme de Frank Wedekind (1864-1918), créée il y a cent ans, trouve encore un écho dans les préoccupations des jeunes d’aujourd’hui. On y parle d’adolescents à la découverte du plaisir, du désir et de la sexualité et de leur difficulté d’être dans un monde d’adultes, pour qui parler de ces choses là était inconcevable. D’amour également, y compris homosexuel, et de suicide… Il est impossible de ne pas y retrouver des expériences vécues personnellement et de ne pas rapprocher cet ouvrage avec les problèmes actuels de cet âge injustement qualifié d’ingrat. Mais on sourit à l’idée qu’à cette époque, emprisonnée dans des principes moraux et religieux aussi imbéciles qu’injustes, cette pièce était considérée comme étant scandaleuse.
Ensuite, parce que la musique de Benoît Mernier est magnifique. Atteignant par moments des sommets d’expressivité et d’émotion susceptibles de faire changer d’avis les adversaires les plus acharnés de la musique contemporaine, l’écriture de Mernier puise dans un riche héritage sans tourner le dos à la modernité (elle fait souvent penser à celle de Boesmans, ce qui n’est pas étonnant : Mernier a travaillé la composition avec lui et son opéra lui est d’ailleurs dédié). Somptueuse, d’une grande clarté expressive, d’une puissance d’émotion énorme, opulente, parfois à l’excès peut-être, mais le contexte le justifiera toujours, elle va droit au but. Fort de son expérience dans la musique d’aujourd’hui, Jonas Alber dirige un Orchestre Symphonique de la Monnaie qui joue cet opéra comme s’il s’agissait déjà d’un classique.
Enfin, parce que la mise en scène de Vincent Boussard, qui brosse un portrait plein de sensibilité de cette tranche de vie, sonne juste. Les adolescents de Frühlings Erwachen ne sont pas ceux d’aujourd’hui : la transposition aurait peut-être été caricaturale ou inappropriée. Exit, donc, GSM, piercing, tatouage et tout ce qu’on peut associer à l’adolescence actuelle. Ce Frühlings Erwachen s’avère tellement convaincant dans l’ambiance fin XIXe siècle dans laquelle baigne cette production (beaux décors à l’ambiance nocturne et poétique de Vincent Lemaire, qui plus est judicieusement éclairés) qu’on aurait eu quelque difficulté à ce qu’il en soit allé autrement. L’option de ne jamais faire apparaître les adultes, ou au maximum de n’en faire voir qu’un bras ou les ombres, s’avère payante et d’une grande intelligence, tant elle creuse le fossé entre les générations. L’humour et la tendresse ne sont pas absents du jeu, parfois un peu excessif, des chanteurs, tous jeunes (toutefois, à quelques exceptions près, leur physique peut poser un problème de crédibilité).
Le public enthousiaste de la Monnaie salue comme il se doit l’épatante prestation vocale et scénique de ces jeunes musiciens qui s’investissent avec autant de conviction et de conscience dans ce nouvel opéra que s’ils s’étaient produits dans une énième production mozartienne. Impossible de ne pas citer Ilse Eerens, charmante et touchante Wendla, Andrew Tortise (Melchior), Holger Falk (Moritz), Liesbeth Devos (incarnant une pétillante Ilse), Diana Axentii (une Martha pleine de tendresse), Jeroen de Vaal (Hänschen), l’impressionnant et si crédible Konstantin Wolf dans le rôle de l’Homme masqué, ainsi que le chœur de jeunes de la Monnaie.
S’inscrivant dans le cadre du festival de musique contemporaine Ars Musica, cette dernière création lyrique de l’ère Foccroulle réitère la réussite exceptionnelle de Wintermärchen de Philippe Boesmans. Celui qui quittera à la fin de cette saison la Monnaie pour le Festival d’Aix-en-Provence aura décidément fait beaucoup pour favoriser les compositeurs contemporains, et pas seulement belges, et nous aura convaincus de la nécessité de cette tâche. Cette Frühlings Erwachen en est une nouvelle preuve éclatante.
Le site du festival Ars Musica
Le site de Jonas Alber
Sébastien Foucart
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