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Le nouveau Berlin de Rattle Paris Salle Pleyel 03/05/2007 - et 21, 22, 23 (Berlin), 26 février (Las Palmas), 1er (Santa Cruz de Tenerife), 7 (London), 8 (Bruxelles) mars 2007 Antonín Dvorák : Symphonie n° 7, opus 70, B. 141
Thomas Adès : Tevot
Leos Janácek : Sinfonietta Berliner Philharmoniker, Simon Rattle (direction)
L’Orchestre philharmonique de Berlin a présenté successivement à Paris les deux programmes de la tournée européenne qui le conduit par ailleurs, entre le 26 février et le 8 mars, en Espagne, au Royaume-Uni et en Belgique avec son directeur artistique, Simon Rattle. Le premier, intégralement dédié à la Deuxième Symphonie «Résurrection» de Mahler, renvoyait au passé: non seulement Mahler, précédé de Haydn, était déjà au menu de leur précédente visite parisienne, en octobre 2002 – dans une Salle Pleyel déjà fermée pour travaux (voir ici), le chef britannique, alors âgé de 47 ans, ayant pris la tête de la phalange allemande depuis un mois seulement – mais si cette Deuxième a toujours revêtu une importance particulière dans sa carrière, il s’agissait bien là d’un compositeur de prédilection de son prédécesseur, Claudio Abbado.
Même si celui-ci avait bien évidemment contribué à un élargissement du répertoire des Philharmoniker, le second de ces programmes marquant, après cinq ans d’absence, leur retour à Paris – mais non en France, car ils se sont produits en 2006 à Aix dans le premier volet de la Tétralogie – traduit en revanche nettement l’empreinte de Rattle: pas de musique germanique et une œuvre contemporaine en création française. Autre signe important adressé au public: après le prix élevé – mais en usage à Paris pour cette catégorie de manifestations – atteint la veille, les places, pour la seconde occasion ainsi fournie d’entendre cette formation d’exception, ne dépassaient pas 85 euros. Un tarif certes déjà respectable mais qui n’est supérieur que d’un tiers à celui demandé lorsqu’elle joue dans sa Philharmonie... ou lorsque l’Orchestre de Paris se produit dans «sa» Salle Pleyel.
Dans ce nouveau contexte, la Philharmonie de Karajan, qui demeure inévitablement dans tous les esprits, s’éloigne aussi nécessairement qu’inéluctablement, d’autant que l’effectif s’est visiblement rajeuni et féminisé, témoignant tout au long du concert d’un engagement et d’une envie de jouer que l’on ne retrouve hélas pas tous les soirs dans la capitale, même de la part d’ensembles étrangers aussi renommés. La question était aussi de savoir si, parallèlement, sa sonorité légendaire, certes pas aussi historique et typée que celle d’Amsterdam, Saint-Pétersbourg ou Vienne, mais qui n’en a pas moins marqué des générations de mélomanes, avait connu une évolution significative.
La Septième Symphonie (1885) de Dvorák démontre que bien des marques distinctives de cette glorieuse époque n’ont pas disparu: la direction très tenue, mais plus rhapsodique que symphonique, de Rattle, qui renonce ici ou là à battre la mesure pour laisser s’épanouir les musiciens, ne se prive pas de mettre en valeur un son superbe, onctueux, léché. Mais comment reprocher à un chef qui dispose d’un tel outil de fignoler le discours jusqu’à un certain narcissisme, avec ces unissons de cordes impressionnants de force et de cohésion, et peut-être encore plus ces bois à la fois précis et colorés, à l’image de la clarinette de Wenzel Fuchs?
Davantage que les individualités, ce sont d’ailleurs les qualités collectives qui priment, notamment un merveilleux équilibre entre les pupitres. Même si elle peut sans doute être considérée comme plus idiomatique que celle de la Neuvième livrée voici quelques semaines par le Concertgebouw d’Amsterdam et Mariss Jansons, l’interprétation ne regarde pas tant vers Brahms, évoqué par maint commentateur à propos de cette Septième, que vers Wagner ou Bruckner, tant l’hédonisme, l’épopée et la puissance prédominent, jusque dans un Allegro final de caractère fantastique.
Thomas Adès est décidément déconcertant: absent la veille pour la clôture de «Présences 2007» dont il fut pourtant, un mois durant, la vedette, et auquel il n’avait au demeurant réservé aucune partition récente (voir ici), il vient assister, en costume et cravate sombres, à la création française de Tevot (2006), commande de l’orchestre et de Carnegie Hall dont la première a été donnée à Berlin le 21 février dernier. Bien que d’un langage fort accessible, cette pièce se montre apparemment déjà trop aventureuse pour les spectateurs de ce genre de soirées de prestige, à en juger par un accueil poli, probablement davantage destiné à Rattle, défenseur de longue date de la musique de son compatriote, auquel il a visiblement donné ici carte blanche, ne serait-ce que par la durée (plus de vingt-deux minutes) et par une vertigineuse nomenclature instrumentale (bois par cinq à l’exception des quatre bassons, huit cors, cinq trompettes, trois trombones, deux tubas, huit percussionnistes, harpe, piano/célesta et cordes), pleinement exploitée dans ce qu’elle peut offrir de décibels.
Le compositeur dit avoir été inspiré par «l’image d’un navire transportant l’humanité errante vers un destin incertain», Tevot étant le pluriel du mot «arche» (de Noé), qui se trouve également signifier «mesure» (de musique). De ce fait, la construction se déploie d’un seul tenant, par grandes vagues faisant preuve d’une belle science des transitions. Le dernier tiers prend toutefois une toute autre tournure: après un rappel de l’introduction, les aigus lohengrinesques des violons conduisent à une péroraison hollywoodienne: de Mer calme et heureux voyage en Interludes marins, le happy end est de rigueur.
Augmentée de onze trompettes additionnelles (au lieu des neuf prescrites), placées debout à droite en fond de scène, la Sinfonietta (1926) de Janacek bénéficie d’un raffinement qui confine parfois au maniérisme. Plus que d’astringence – la petite clarinette, entre autres, y pourvoit activement – c’est le manque de rugosité qui frappe: on ne tient pas plus que dans Dvorák une version «authentique», le mouvement central versant dans un romantisme alangui («Le Monastère de la reine»), tandis que dans les pages rapides, comme dans «Le Château», la précipitation, certes étourdissante de brio, tend à la démonstration de virtuosité. Une vision contrastée et vivante, qui satisfait cependant moins le cœur que l’oreille, encore que non dénuée de flottements dans la mise en place.
Cette conclusion spectaculaire appelait difficilement, il est vrai, un bis, sans pour autant autoriser un orchestre qui prétend légitimement à un certain standing à friser l’incorrection à l’égard des auditeurs: trois petits saluts et puis s’en vont, affichant la satisfaction du travail bien fait, alors que l’ovation n’avait nullement faibli. Vérité de ce côté-ci du Rhin, erreur au-delà?
Le site de Simon Rattle
Le site de l’Orchestre philharmonique de Berlin
Simon Corley
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