About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Détraquages rythmiques

Paris
Maison de Radio France
02/25/2007 -  
Thomas Adès : Darknesse visible – Still sorrowing, opus 7 – Traced overhead, opus 15 (#)
Conlon Nancarrow : Canon B (2/3) extrait des «Two canons for Ursula» (#)
György Ligeti : Poème symphonique pour cent métronomes («version digitale en 5.1» de Philippe Dao) – Etudes n° 14A «Coloana fara sfârsit» et n° 18 «Canon» (*) – Drei Stücke (Monument, Selbstportrait, Bewegung) (* +)
George Antheil : Ballet mécanique (révision 1953) (* +)

Thomas Adès (#), Dimitri Vassilakis (*), Franz Michel (+) (piano)
Percussions ad’ONF, René Bosc (direction)


Avantages et inconvénients d’une programmation à contre-courant, au beau milieu des vacances scolaires: si les concerts ont connu jusqu’à ce jour une honnête fréquentation, «Présences 2007» n’avait sans doute pas encore bénéficié d’une telle affluence, même si la jauge de l’auditorium Olivier Messiaen est restée suffisante pour accueillir, en cette fin de dimanche après-midi, un public attiré par ce programme hors norme, évoquant trois des inspirateurs plus ou moins lointains de la figure centrale de cette édition, Thomas Adès.


C’était d’abord l’occasion d’entendre sous ses doigts l’intégrale de son corpus pour piano seul, soit trois œuvres d’une dizaine de minutes chacune. D’abord Darknesse visible (1992), où il surprend encore son monde, non pas tellement par sa manière de se référer, comme bon nombre de ses prédécesseurs britanniques, à la période élisabéthaine – ici la chanson de Dowland In darknesse let met dwell (1610) – mais en révélant une facette jusqu’ici inconnue de sa personnalité, qui s’en tient à une économie de moyens très éloignée des artifices et de l’habileté dont elle semble se protéger d’ordinaire: méditative, presque planante, et analytique à la fois, la pièce découd lentement le texte original («Aucune note n’a été ajoutée; certaines ont même été retirées.»), pour le rendre plus «visible», dans des oppositions d’attaques, de nuances dynamiques et de registres.


Toujours dans la pénombre, mais sur un piano dont le médium est «préparé» à la Cage (avec de la gomme élastique) et dont le tourneur de pages, durant l’exécution, restitue la sonorité ordinaire (à l’exception de deux notes), Still sorrowing (1992) – «Toujours souffrant», titre provenant à nouveau d’une chanson de Dowland (Semper Dowland, semper dolens) – renoue avec une volubilité plus typique de son style, enrichie des timbres inouïs, entre balafon et tom-toms, de l’instrument ainsi transformé.


Retour au clavier usuel pour la page la plus récente, la plus développée et la «préférée» du compositeur, Traced overhead (1996) – littéralement «calqué au-dessus» – en trois parties enchaînées qui, malgré des éclats de couleurs à la Messiaen et une redoutable difficulté d’exécution, confirment chez Adès un langage pianistique décidément plus soucieux de sonorités et d’atmosphères, comme une étude sur les trilles et les sons tenus, que d’un discours construit.


Et le pianiste conclut en éblouissant par sa sûreté rythmique et son agilité dans le Canon B (2/3), second des Two canons for Ursula [Oppens] (1988) de Conlon Nancarrow: par sa verve juvénile, ce bref morceau apporte non seulement une certaine fraîcheur et une franchise un peu crue en cette fin de première partie, mais constitue en même temps une excellente transition vers la seconde partie, consacrée à trois maîtres du rythme.


Si György Ligeti n’a découvert Nancarrow qu’au début des années 1980, l’admiration qu’il a alors pu exprimer pour les travaux de l’Américain tenait à ce qu’il avait lui-même mené des recherches similaires dès les années 1960. En témoigne son Poème symphonique pour cent métronomes (1962), hélas donné ici dans une «version digitale en 5.1» qui tient du pétard mouillé, voire du contresens, privant cette expérience unique d’une grande partie de son impact visuel et sonore, de sa signification et même de sa durée. Bien loin en effet du claquement sec et désagréable que l’on attend de ces appareils, c’est un maigre crépitement de pluie sur le carreau que diffusent les haut-parleurs. En outre, si l’intensité sonore et les aléatoires superpositions rythmiques diminuent certes progressivement, comme il se doit, pour tendre vers le silence, le seul «vrai» métronome de cette reconstitution, posé sur le piano, au lieu de s’éteindre de lui-même, est brutalement interrompu par Dimitri Vassilakis, qui enchaîne sur la Dix-huitième «Canon» (2001) – et dernière – des Etudes de Ligeti.


Les Trois pièces (1976) pour deux pianos confirment de façon éclatante que le Hongrois – encore une fois, avant même sa rencontre avec la musique de Nancarrow – savait jouer à la perfection de complexes strates rythmiques, suggérant, au-delà de la provocation et de l’expérimentation, un propos d’une forte intensité poétique, dans la descendance de Debussy et de Bartok. Rien d’étonnant cependant à ce qu’il ait ensuite manifesté de la curiosité pour le player piano cher à Nancarrow et pour lequel il avait destiné la première version de sa Quatorzième étude «Coloana fara sfârsit» (1993): cet hommage à la fameuse «Colonne infinie» de Brancusi est ainsi confié à deux quarts de queue gouvernés par l’informatique, permettant d’accroître l’effet de cette brève ascension musicale, restituée à une vitesse plus rapide que ne le permettrait un exécutant de chair et de sang.


La présence de ces instruments inhabituels annonçait le Ballet mécanique (1924) de George Antheil: si, comme en octobre 2004 (voir ici), il était proposé dans sa version révisée (1953), il était toutefois accompagné cette fois-ci de la projection du film de Fernand Léger et Dudley Murphy pour lequel il avait été conçu. Au demeurant, l’interprétation de la version originale aurait posé deux difficultés majeures: non seulement elle fait appel à un effectif dont on pourra admettre qu’il est difficile à réunir (seize pianos mécaniques synchronisés jouant quatre parties différentes, quatre grosses caisses, trois xylophones, un gong, sept cloches électriques, une sirène, trois hélices d’avions et deux pianos), mais elle est substantiellement plus longue (une demi-heure) que la durée du film (seize minutes), de telle sorte que seule la version révisée est appropriée à des exécutions synchronisées, lesquelles n’ont d’ailleurs véritablement pris leur essor que dans les années 1990.


De façon plus épigonale que véritablement originale, la musique mélange Noces de Stravinski aux sirènes de Varèse, mais ce «ballet mechanique», pour reprendre l’orthographe du banc-titre, prend toute sa signification avec ce film dans le style de Man Ray et Bunuel. Toute une époque, bien sûr, avec les sourires et le regard de Kiki de Montparnasse, des figures géométriques et ce collier volé «de cinq millions de francs», une somme faramineuse dont les zéros ne cessent de danser en une ronde moqueuse et contestatrice. Mais les effets d’optique, la récurrence des images, la succession très rapide des plans et leur parfaite synchronisation avec le son témoignent du souci d’une écriture musicale rarement poussé à un tel point dans le septième art.


Une fois oubliés les soucis d’une technique un temps récalcitrante, René Bosc, le directeur artistique de «Présences», conduit les huit percussionnistes de «ad’ONF» (un groupe formé, on s’en doute, autour des membres du pupitre de l’Orchestre national de France), les deux pianistes (Vassilakis étant rejoint par le musicien du National, Franz Michel) et les deux pianos mécaniques dans une débauche d’énergie, qui illustre à merveille cet éloge du mouvement et de la vitesse, défilé incessant de tout ce qui peut bouger, roues, rotatives, rotors, balançoire, automobiles, armée, … Mais cet enthousiasme optimiste sera rapidement déçu: ce même Charlot qui, sous la forme d’un pantin désarticulé signé Léger, apparaît au tout début pour «présenter» le Ballet mécanique, dénoncera douze ans plus tard dans Les Temps modernes l’aliénation inhérente au progrès technique.


Un site entièrement dédié au Ballet mécanique d’Antheil



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com