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Le Luxembourg en visite de voisinage Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 02/14/2007 - Richard Wagner : Tannhäuser, Ouverture et Bacchanale, Chevauchée des Walkyries
Hector Berlioz : Carnaval romain, ouverture
Claude Debussy : Prélude à l'après-midi d'un faune
Manuel de Falla : Nuits dans les jardins d'espagne
Maurice Ravel : Boléro
Claire-Marie Le Guay (piano)
Orchestre Philharmonique du Luxembourg, Emmanuel Krivine (direction)
La quasi-totalité des apparitions strasbourgeoises de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg a eu lieu jusqu’à présent dans le cadre du Festival Musica, au service d’un répertoire contemporain qui ne permet pas prioritairement de juger de la qualité d’un orchestre. On attendait donc avec curiosité cette nouvelle visite, au programme certes conventionnel mais permettant d’apprécier véritablement les possibilités d’un ensemble qui s'est fait surtout connaître depuis dix ans par une brillante série de disques.
Parmi ces disques on rappellera notamment le premier enregistrement mondial du ballet Cydalise et le Chèvrepied de Gabriel Pierné, chef d’œuvre hautement recommandable qui n’a pas grand-chose à envier au Daphnis et Chloé de Ravel, récompensé du titre de «Best Record of the Year», décerné par le jury international du Cannes Classical Award 2002. C’était alors l’aboutissement d’années glorieuses, sous la direction motivante du chef israélien David Shallon, malheureusement victime en 2000 d’un accident allergique foudroyant lors d’une tournée au Japon. Une disparition qui a pesé lourd, Emmanuel Krivine ne pouvant que s’installer progressivement à son nouveau poste, au cours de plusieurs saisons de gestion d’héritage dépourvues d’éclat particulier, si ce n’est discographique (entre autres un passionnant cycle Xenakis dirigé par Arturo Tamayo).
De prime abord l’orchestre paraît d’une moyenne d’âge peu élevée, avec une forte prépondérance masculine, supérieure à celle de la plupart des formations européennes actuelles. Dès l’exposition de l’Ouverture et Bacchanale de Tannhäuser de grands moments s’annoncent : une belle rangée de cuivres se déploie avec un luxe rassurant, les cordes sont homogènes, les bois très sûrs. À l’évidence on se trouve face à une phalange dotée de tout le confort moderne, susceptible de s’adapter à de nombreux répertoires au prix peut-être d’un certain manque de personnalité sonore. Emmanuel Krivine contrôle tous les pupitres avec beaucoup d’autorité, peut-être trop d’ailleurs, avec à la clé une certaine raideur, en partie liée à une gestique très précise mais saccadée. Tannhäuser n’en souffre pas trop (hormis les mesures d’apaisement qui suivent la Bacchanale, où l’orchestre semble soudain plus indécis, cherchant à stabiliser sa sonorité sur des valeurs plus longues sans y parvenir complètement). En revanche la Chevauchée des Walkyries affiche une vigueur martiale et carrée qui rend cette musique assez peu sympathique. De toute façon dépouiller cette séquence d’opéra de ses parties vocales reste un exercice dangereux, qui risque de l’exposer dans un état encore plus bruyant et creux que nature. Ici l’orchestre se tire bien de cet exercice d’athlétisme, et particulièrement les cuivres, mais on peut remarquer à quel point l’ensemble respire plus naturellement quand Emmanuel Krivine consent à diriger sans baguette, ce qui arrive de temps à autre, mais pour de trop rares mesures seulement.
Curieusement coincée entre ces deux massifs wagnériens, l’Ouverture du Carnaval Romain donne lieu à une belle démonstration de virtuosité, le chef cherchant manifestement à obtenir une transparence exceptionnelle. Une lisibilité qui permet à l’auditeur de percevoir chaque détail, y compris malheureusement une certaine raideur des cordes, pas tout à fait compatible avec l’impression d’exubérance spontanée que devrait éveiller cette musique tourbillonnante. Cela dit, tout autant que Wagner, Berlioz est ici magnifiquement servi.
Courte déception en début de seconde partie avec un Prélude à l’après-midi d’un faune pas franchement torride, desservi par un flûtiste à la sonorité large mais insuffisamment sensuelle et nourrie. Ce Faune pétrifié, façon statuaire voire bas-relief antiques, s’expose dignement mais ne laisse rien augurer de bien sulfureux pour le reste de l’après-midi. Au sein de ce concert très varié, c’est bien là le seul passage à vide que l’on puisse déplorer.
Rétablissement immédiat avec de fascinantes Nuits dans les jardins d’Espagne dont Krivine détaille les ambiances et les effets avec un constant souci de rendre perceptibles tous les rouages d’une alchimie sonore subtile, tout en gardant un pouvoir d’évocation poétique intact. L’équilibre avec le piano est idéal, et pourtant il s’agit d’une véritable pierre d’achoppement dans cette œuvre, où la fonction d’élément de décor intermittent parmi d’autres assurée par le soliste reste particulière, voire un peu frustrante. Une magistrale symbiose concertante, sans perdant ni gagnant, favorisée par la sonorité claire et puissante de Claire-Marie Le Gay, qui ne peut toutefois pas s’adonner à autant de subtilités que l’orchestre, sous peine d’engloutissement immédiat.
Conclusion très attendue par le public : un Boléro mené à un tempo relativement vif (14 minutes environ) mais surtout très stable, avec juste une petite concession pour l’élargissement final de rigueur. Une superbe démonstration de savoir-faire instrumental, qui révèle l’orchestre sous son meilleur jour. Mais aussi, du côté du chef, un remarquable refus de tout effet trop facile, au profit de l’implacable efficacité finale d’une œuvre que l’on aura rarement connue à ce point subjuguante.
Une grande soirée d’orchestre, que l’on aurait préféré partager avec un auditoire un peu plus nombreux. La saison de concerts organisée par Harry Lapp, naguère incontournable institution privée strasbourgeoise, s’est repliée ces dernières années sur une routine artistique sans surprise ni renouvellement. Le cru 2006/2007 révèle un vrai désir de revenir à davantage d’exigence voire de prestige, mais entre temps le public semble s’être évaporé. En l’absence des représentants du Luxembourg et autres personnels diplomatiques en poste à Strasbourg, largement invités pour l’occasion, la grande salle du Palais des Congrès aurait paru dramatiquement vide.
Laurent Barthel
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