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Concours de virtuosité! Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/05/2007 - Airs et duos extraits d’opéras de Rossini, Mozart, etc… Daniela Barcellona (mezzo), Juan Diego Florez (ténor)
Orchestre Symphonique de Navarre, Alexander Joel (direction)
Après Joseph Calleja et Patrizia Ciofi quinze jours plus tôt, c’est au tour de la mezzo Daniela Barcellona et du ténor Juan-Diego Florez d’enflammer le Théâtre des Champs-Elysées. Les deux artistes proposent un riche programme avec une première partie consacrée à Rossini, puis une seconde à Mozart (réminiscences de 2006…) et à Donizetti. Comme toujours, les deux chanteurs ont rivalisé de virtuosité.
Le concert s’ouvre avec le premier duo d’amour de La Cenerentola de Rossini “Tutto è deserto”. Les premières notes de Juan Diego Florez sont sublimes, pures: il exécute un beau crescendo sur sa première phrase, exprimant ainsi la simplicité du prince. Le ténor a beaucoup chanté le rôle de Ramiro et il en connaît donc toutes les ficelles, ce qui lui permet en quelques notes de planter le décor. Daniela Barcellona n’est pas en reste car sa voix, chaude et voluptueuse, va comme un gant au rôle d’Angelina: elle a les couleurs du contralto mais également la fraîcheur des aigus pour rendre le personnage plus jeune. Le duo est un véritable feu d’artifice de vocalises! Juan Diego Florez chante un extrait de La Donna del Lago, “Oh fiamma soave”: cet air est parfait pour lui, car il peut encore faire montre d’une agilité redoutable mais également d’une douceur (les nombreux “oh fiamma”) qu’on ne lui connaissait guère auparavant: les aigus en seraient presque moins faciles et moins brillants. Juan Diego Florez donne le meilleur de lui-même dans la cavatine d’Ernesto de Don Pasquale. Ce moment est absolument magique, car il n’est pas question ici de briller avec des vocalises (à part à la fin de l’air) mais avec des demi-teintes, des notes allongées, des alternances de nuances. Le ténor est très émouvant car il présente un chant tout en retenue et tout en délicatesse.
Daniela Barcellona sait raconter une histoire, la faire vivre. Il n’est pas besoin, avec elle, de décors, de costumes, pour voir le personnage apparaître, se transformer. Elle chante un extrait de La Donna del Lago, « Mura felici », avec une conviction étonnante surtout dans le récitatif. Elle retrouvera cette même force expressive dans l’air de La Favorita, « O mio Fernando », où elle se laisse aller et se met à bouger comme si elle se trouvait sur une scène d’opéra. Cet air est peut-être le passage le plus beau de la prestation de la mezzo, car elle n’hésite pas à mettre toute la puissance de sa voix au service de la partition et du personnage : elle devient particulièrement véhémente dans la seconde partie et on remarque alors la très bonne homogénéité de son instrument.
Mozart est donc représenté avec deux airs et une ouverture. Juan Diego Florez chante « Il mio tesoro » de Don Giovanni, mais avec toujours aussi peu d’inspiration que l’année dernière. La phrase musicale est bien conduite, les vocalises sont soignées et le souffle est suffisant pour les notes tenues mais on n’entend pas vraiment la douleur de Don Ottavio. Daniela Barcellona se confronte, quant à elle, au redoutable air de Farnace dans Mitridate « Venga pur ». Elle s’acquitte honorablement des nombreuses vocalises avec de belles couleurs sombres. Elle soigne particulièrement les différentes gammes descendantes sur « a » qui ponctuent l’air : elle les chante de plus en plus légèrement, avec des notes à peine développées.
Les bis sont un peu décevants, car on aurait pu espérer de nouveaux duos ou bien des airs séparés. Au lieu de cela, ils reprennent un passage du Voyage à Reims et tentent, tant bien que mal, de chanter La Danza à deux. La première fois, Daniela Barcellona est à peu près en mesure alors que Juan Diego Florez est complètement décalé avec l’orchestre, car il ralentit très fortement le tempo. En revanche, ses « la, la » sont très doux, charmeurs et s’il avait été plus en mesure, il aurait donné une interprétation fantastique de cette mélodie.
L’orchestre est très bien dirigé par Alexander Joel. L’ouverture de La Cenerentola est jouée de manière très légère et vive, avec une attention particulière portée aux transitions. Le chef est vraiment doué pour rendre expressive la partition de Rossini comme ce début, tout doux et en nuances, de la scène entre Ramiro et Angelina. Le chef interprète aussi l’ouverture de La Gazza ladra : sa direction est stricte, un peu raide avec des accents très rossiniens. Cette certaine rigidité ne l’empêche de rendre subtile son orchestre notamment dans les gammes montantes et descendantes où les musiciens, notamment le pupitre des violons, effleurent à peine les notes. Alexander Joel est moins à l’aise dans Mozart. Il joue l’ouverture des Noces de Figaro comme si c’était du Rossini, avec un tempo vif et sautillant, ce qui ne convient pas vraiment à la musique de Mozart : ce n’est plus l’insouciance du Barbier mais la gravité des personnages de la folle journée qu’il faut traduire.
Ce concert aura permis de retrouver un Juan Diego Florez en très grande forme et dont la voix ne cesse d’évoluer : il n’est plus seulement une machine très bien huilée à faire des vocalises et des aigus, il est de moins en moins froid et de plus en plus musical. Daniela Barcellona aura su convaincre le public parisien grâce à sa voix chaude et à son don d’entrer dans la peau des personnages. Dommage qu’on ne les entende pas plus souvent à Paris…
A noter :
- Juan Diego Florez vient de sortir un nouveau DVD, La Fille du régiment avec Patrizia Ciofi, chez Decca.
Manon Ardouin
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