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La Juive privée d’électricité

Paris
Opéra Bastille
02/16/2007 -  et 16, 20, 24, 28 février, 3, 6, 10, 14, 18, 20 mars 2007
Jacques Fromental Halévy : La Juive
Annick Massis (Eudoxie), Anna Caterina Antonacci (Rachel), Neil Shicoff*/Chris Merritt (Eléazar), Robert Lloyd*/Ferruccio Furlanetto (Brogni), John Osborn*/Colin Lee (Léopold), André Haybaer (Ruggiero), Vincent Pavesi (Albert), Jian-Hong Zhao (Le Héraut), Etienne Lecscroart (L’Officier), Christian-Rodrigue Moungoungou, Marc Chapran (Hommes du peuple), Slawomir Szychowiak (Le Bourreau)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Peter Burian (chef des chœurs), Alessandro di Stefano (préparation des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Daniel Oren (direction)
Pierre Audi (mise en scène), Georges Tsypin (décors), Dagmar Niefind (costumes), Jean Kalman (lumières), Willem Bruls (dramaturgie), Amir Hosseinpour (chorégraphie)


Pierre Audi, accablé, refuse de venir saluer : une grève des électriciens prive sa production de La Juive d’une partie de ses éclairages. Or c’était un des points forts de son travail, fondé sur la suggestion et la lisibilité, confié à l’expert en la matière qu’est Jean Kalman. Le directeur de l’Opéra d’Amsterdam ne voulait pas, en effet, immerger dans une actualité, quelle qu’elle soit, la tragique histoire de Rachel, mais lui rendre sa portée universelle, avec un décor de George Tsypin réduit à une structure métallique, église et prison à la fois, lieu de toutes les intolérances possibles, pas seulement du racisme. Une lecture à l’opposé de la production viennoise de Günter Krämer, qui se référait ouvertement à une Autriche ayant à moitié basculé du côté de Jörg Haider. Pierre Audi voulait aussi, au-delà des rapports entre le marginal et la communauté qui fait de lui son bouc émissaire, insister sur les destinées individuelles, sur le drame intérieur de ces personnages souvent en mal d’identité et en proie aux affres de la passion. Eudoxie et Léopold, du coup, cessent d’être machines à chanter des airs aussi difficiles que flatteurs. D’où à la fois ces défilés presque mécaniques, où fonctionnent parfaitement les rouages d’une intolérance parfois jubilatoire, et ce pathétique des scènes intimistes où les cœurs saignent, comme au quatrième acte, dans la prison.


Certes, tout reste limpide, mais comment apprécier une représentation dont beaucoup de spectateurs se demandent pourquoi elle se déroule dans la pénombre ? A-t-on raison d’écrire que la chorégraphie, que ces ombres macabres accompagnant Eléazar nous ont semblé inutiles et ridicules ? Pourquoi n’a-t-on pas fait une annonce ? Gérard Mortier, qui se targue d’avoir obtenu, à l’inverse de son prédécesseur, la paix sociale dans la maison qu’il dirige, craignait-il une grève plus étendue, voire une annulation ? A-t-il subi des pressions syndicales ? Voulait-il à tout prix nous offrir cette Juive qu’on n’avait pas vue à l’Opéra depuis plus de soixante-dix ans ? Quoi qu’il en soit, le travail d’un metteur en scène, comme celui de tout artiste, exige le respect et un directeur se doit de prendre ses responsabilités, auprès des équipes qu’il a engagées et du public qu’il a fait payer. C’est exactement comme si on tronquait une citation : quand on n’informe pas totalement, on désinforme, autrement dit on manipule. De telles pratiques ne sont pas à l’honneur de l’Opéra de Paris.


Cela dit, on se réjouit d’entendre de nouveau un des plus beaux fleurons du grand opéra à la française – si le premier acte peut paraître moins intéressant, les autres sont d’une grande beauté, qui n’avait pas échappé à Berlioz. Il est vrai qu’il y faut des interprètes d’exception : sans même fantasmer sur les créateurs, il suffit de regarder la partition. Les coupures sont-elles pour autant justifiées ? Pour le ballet, probablement. Pour le chœur d’introduction du dernier acte, peut-être. Pour les reprises, c’est à voir. Mais le second air de Léopold, le Boléro d’Eudoxie ? La cabalette d’Eléazar, surtout ? Neil Shicoff, qui n’en peut mais, y a renoncé depuis quelques années. Il n’empêche : elle est dramatiquement essentielle. Imagine-t-on que Violetta ne chante pas la sienne ? Mais tout le monde connaît La Traviata et peu de mélomanes connaissent La Juive, beaucoup croyant l’air d’Eléazar limité au célèbre « Rachel, quand du Seigneur ». Le chanteur américain, à vrai dire, crée un malaise. On serait tenté, d’un côté, de succomber – ce que fait le public - à ce feu qui l’habite, à cette identification au rôle. De l’autre, force est de constater qu’il retaille le rôle à sa mesure, se taisant dans les ensembles, assénant ses syllabes d’une voix durcie, nasalisée et vibrante, arrachant ses aigus, plus porté sur le sanglot que sur la nuance, bref ne répondant jamais aux canons du chant français. Rachel fière et passionnée, Anna Caterina Antonacci a autant de tempérament, mais s’avère beaucoup plus juste stylistiquement, sinon techniquement parfaite ; elle est plus mezzo que vraiment falcon et l’aigu, aussi sollicité que les autres registres, ne résiste qu’au prix de stridences constantes.


Le couple Eudoxie-Léopold, en revanche, frise l’idéal. Annick Massis, malgré un timbre toujours aussi monochrome, brille par la conduite souveraine d’une voix parfaitement projetée, l’aisance dans les vocalises, l’intensité de son incarnation aussi : jamais petit rossignol, vraie héroïne d’opéra, subissant, comme sa rivale, les affres de la trahison. John Osborn constitue, quant à lui, la révélation de la soirée : voici enfin un Léopold à l’articulation nette, à la voix homogène et d’une souplesse rossinienne, jusque dans un aigu ne rappelant en rien un chapon égorgé, lui aussi investi dans son rôle, souffrant et pas bellâtre. Robert Lloyd convainc moins, même s’il a les graves abyssaux de Brogni et en fait plus un père qu’un inquisiteur : trop pâteux d’articulation, trop charbonneux de timbre, trop sinueux de ligne. Pas de Juive réussie sans chœur ni orchestre à la hauteur. Excepté les défaillances des cornistes dans « Il va venir », l’un et l’autre ont rendu justice à l’ouvrage, sous la direction d’un Daniel Oren incandescent mais pas pompier, qui a visiblement regardé la partition de très près et en a débusqué les subtilités que beaucoup persistent à ne pas remarquer.


A défaut d’avoir vraiment vu La Juive, on l’aura au moins entendue.



Didier van Moere

 

 

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