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Trompettes de la renommée : le Festival Piano aux Jacobins

Toulouse
Jacobins
09/08/1998 -  - 25/09/98
Piano aux Jacobins

Chaque année, le festival Piano aux Jacobins constitue certainement l'événement majeur de la rentrée musicale toulousaine et est devenu l'un des plus connus parmi les festivals dédiés au piano. Il faut dire que la confrontation dans un même lieu et sur un même instrument de musiciens de tous horizons permet des comparaisons passionnantes et souvent fort instructives, d'autant que les invités sont pour la plupart des "pointures" mondialement reconnues. Le public ne s'y trompe d'ailleurs pas et était venu fort nombreux assister à cette XIXe édition, même si trois concerts ont été déprogrammés coup sur coup en raison de la défection à la dernière minute de certains artistes, ce qui a fortement mécontentés les abonnés (on les comprend). La programmation, fort hétéroclite, voyait se côtoyer en 9 concerts les vétérans Gyorgy Sebok ou Charles Rosen, les talents confirmés de François-René Duchâble, Bruno Leonardo Gelber ou Michel Dalberto, les noms plus récents mais déjà connus de Roger Muraro, Franck Braley ou l'inévitable Fazil Say et le jeune inconnu Alexander Melnikov. Cette hétérogénéité et la qualité extrêmement variable des concerts rendent difficile une appréciation d'ensemble de cette manifestation mais permettent pourtant de tirer quelques conclusions intéressantes sur ce qui peut faire, ou défaire, un succès public.

Première constatation, si vous voulez être célèbre, vivez vieux ! C'est la formule choisie par Gyorgy Sebok, pianiste hier à peine connu, aujourd'hui fameux grâce à la publicité donnée par une émission d'Arte et quelques reparutions discographiques. Il est heureux que le goût du public pour les musiciens héritiers d'une longue tradition musicale permette de redécouvrir certains musiciens, même tardivement. Tardif, c'est cependant ce qui caractérisait le mieux le concert de ce pianiste de 76 ans tant sa technique paraissait parfois mise à mal par les exigences des oeuvres choisies. Curieusement, la sonate Pathétique de Beethoven a paru plus problématique que la Fantaisie en fa mineur de Chopin ou la fantaisie Après une lecture de Dante de Liszt. Mais, malgré des accrocs nombreux, on ne peut que saluer la finesse de toucher, la retenue musicale, l'extrême simplicité du musicien, alliées à un plaisir évident de jouer. De telles qualités n'ont pas laissé les spectateurs indifférents et ce premier concert du festival fut un beau succès. On peut dire, toutefois, qu'il a été le seul à nous présenter ce style de piano jouant plus sur le sens de la couleur que sur la ligne musicale, évoquant en cela certains pianistes du passé. Heureusement, ou malheureusement, le concert du pianiste américain Charles Rosen, lui aussi septuagénaire, est venu nous rappeler que, parfois, le temps ne fait rien à l'affaire. Sa réputation de grand intellectuel, étayée par la parution de quelques ouvrages comme Le Style classique ainsi que des enregistrements célèbres, en leur temps, d'oeuvres de Schumann dans leurs versions originales, pouvaient lui donner une réputation flatteuse, démentie cependant dès les premières mesures. Un toucher sec et dur, associé à une interprétation raide et sans charme, le tout servi par une technique approximative qui lui a fait massacrer de suicidaires Variations sur un thème de Haendel de Brahms, il n'en fallait pas tant pour que certains spectateurs aient eu l'impression d'assister au plus mauvais concert de l'ensemble du festival. Et Rosen ne peut même pas rejeter la responsabilité de la médiocrité de ce concert sur le piano, comme il a paraît-il essayé de le faire, puisque d'autres pianistes ont su en tirer des sonorités autrement flatteuses. Mais une grande partie de l'audience a tout de même chaleureusement applaudi ce ratage complet.

Un autre conseil pour devenir célèbre : soyez certain de votre propre génie et affichez-le avec superbe ! C'est ce qu'ont décidé de faire deux des plus jeunes pianistes entendus dans ce festival : Franck Braley et Fazil Say. On savait que le pianiste turc aimait se complaire dans des mimiques extasiées et outrées, mais le français avait paru infiniment plus sobre lors d'un précédent concert toulousain. Hélas ! il semble s'être un peu trop imprégné du modèle gouldien et il n'est pas une note, un accord, une intention musicale qui n'aient donné lieu à d'insupportables grimaces, à de ridicules dandinements, à de risibles mimiques. Cette éprouvante gymnastique semble avoir rencontré les faveurs du public qui lui a réservé un accueil démonstratif. Pourtant, par delà les mines et les manières, quel piano conventionnel et plat, quel Haendel scolaire, quelle Pathétique de salon, quels Debussy chichiteux ! L'excentricité de comportement paraît d'autant plus vaine lorsqu'elle est associée à un manque complet d'originalité artistique. Bien sûr, voilà techniquement du beau piano, mais combien d'élèves de Conservatoire pourraient en faire autant ? Le cas Fazil Say est un peu différent. On attendait au tournant les excentricités musicales d'un jeune histrion et nous eûmes la surprise d'entendre un jeu certes plutôt porté sur le staccato et les nuances abruptes ou forcées, mais en rien comparable à ce qu'un disque récent pouvait faire craindre. Bien sûr, tout cela est pressé et superficiel, mais sa technique très achevée permet de voir ce qui différencie Say de Braley : alors que le français n'est, au fond, qu'un étudiant consciencieux, Fazil Say pourrait peut-être devenir un musicien s'il décidait de jouer de la musique et non de se servir des oeuvres pour faire sa propre publicité. Il serait urgent cependant qu'il se pose quelques questions sur le style des oeuvres qu'il interprète tant le même jeu pressé, virtuose et tapageur tend à les uniformiser. Mais, là encore, le public semble avoir été surtout sensible à l'aspect "cirque" de sa prestation (mimiques exubérantes, improvisations jazzystiques dans la droite ligne de ce que Michel Legrand a pu faire de plus creux) à laquelle il a réservé un triomphe proche du délire. Il est parfois agaçant de se dire que le public qui applaudit de tels "artistes" vient avant tout au spectacle et ne juge en rien leur performance strictement musicale.

Que reste-t-il entre ces extrêmes ? Des musiciens venus simplement faire de la musique, avec plus ou moins de bonheur parfois, mais avec moins d'esbroufe. Parmi les déceptions, Roger Muraro a donné une Hammerklavier si mal assurée techniquement et musicalement qu'elle a fait fuir le reste d'un programme un peu trop ambitieux. Plus de réussite pour Alexander Melnikov, jeune russe à la technique explosive qui, après un Schubert plutôt malmené, a offert des Visions fugitives de Prokofiev impressionnantes d'engagement, tendues jusqu'au malaise. Complet bonheur enfin pour François-René Duchâble et Bruno-Leonardo Gelber, deux véritables artistes au faîte de leur talent. Le pianiste français a montré sa maîtrise dans un programme très intelligemment composé qui alternait en groupe de trois pièces des oeuvres de Chopin, Ravel, Debussy et Wagner transcrites par Liszt, le tout précédé par la monumentale sonate Appassionata de Beethoven. Partout, on a retrouvé les mêmes qualités d'un toucher certes légèrement avare de couleurs mais toujours précis et d'une virtuosité impeccable, au service d'une attention extrême portée aux détails et à la clarté polyphonique malgré des tempi parfois un peu précipités. On doit ajouter à cela une réelle présence physique, sans "trucs" et sans pose, si importante pour la réussite d'un récital. Le concert de Bruno-Leonardo Gelber était bien près de cette réussite car la puissante sonorité de bronze qu'il sait tirer du piano a une qualité des plus rares : la capacité d'émouvoir. L'extrême variété et la précision de son toucher, capable des nuances les plus délicates comme de la puissance sans dureté, donnait un impact extrême à ses interprétations parfois un rien trop effusives, car une telle sincérité dans le romantisme flamboyant finit par être communicative. Ces deux concerts ont certainement été les points culminants de cette édition, mais si l'accueil du public fut très bon pour les deux, aucun n'a reçu le triomphe réservé au si superficiel Fazil Say.

On le voit, si la programmation n'était pas spécialement unitaire et si le niveau était extrêmement variable, il y avait tout de même de quoi justifier dans cette XIXe édition le succès considérable du festival Piano aux Jacobins. Peut-être pourrait-on souhaiter pour l'année prochaine une sélection d'oeuvres plus originales que celles proposées cette année, ainsi qu'une présence accrue de nouveaux artistes. Un petit mot, pour finir, sur le lieu choisi comme cadre de ce festival. Si le cloître des Jacobins est sans conteste un fleuron du patrimoine architectural de Toulouse, il ne se prête pas autant qu'on voudrait nous le faire croire à l'organisation de tels concerts. En effet, l'acoustique, extrêmement réverbérée, n'y est supportable que pour les spectateurs qui sont face au piano ; certaines nuits de cette fin d'été étant plutôt fraîches et l'espace n'étant pas fermé une petite laine est souvent bienvenue ; l'internat d'un lycée mitoyen offre parfois une animation guère bienvenue. Enfin, les pigeons qui nichent dans la toiture du cloître voient d'un mauvais oeil cette invasion annuelle et font ce qu'ils peuvent pour gâcher les concerts en multipliant les bagarres et en bombardant les spectateurs. Moralité : amis mélomanes colombophobes, munissez-vous d'un ciré, d'une carabine à plombs et d'une boite de petits pois !



Laurent Marty

 

 

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