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Le rat des villes et le rat des champs Paris Maison de Radio France 02/17/2007 - Thomas Adès : … but all shall be well, opus 10 (*) – These premises are alarmed, opus 16 (création française) (*)
Pascal Zavaro : The Meeting (création)
Thierry Pécou : Vague de pierre (création)
Orchestre philharmonique de Radio France, Thomas Adès (*), Jonathan Stockhammer (direction)
Pour ce concert de «Présences 2007», l’Orchestre philharmonique de Radio France était confié à deux chefs: Thomas Adès, figure centrale de cette édition, dirigeait lui-même deux de ses partitions, chacune, de brève dimension, étant suivie d’une création, nettement plus développée, d’un compositeur français, sous la baguette de l’Américain Jonathan Stockhammer, dont le nom demeure associé à la première de Faustus de Dusapin la saison passée.
Le titre de … but all shall be well (1993) est une citation («….mais tout ira bien») tirée de Little Gidding, dernier des poèmes du recueil Four quartets (1936-1942) de T. S. Eliot, qui y décrit sa rencontre avec Dante durant les bombardements allemands, concluant sur une phrase empruntée à la religieuse mystique Julian de Norwich (1342-1416): «Sin is behovely [le péché est de mise], but all shall be well, and all shall be well, and all manner of things shall be well». Est-ce cet optimisme nuancé par le scepticisme d’Adès qui s’exprime dix minutes durant dans un propos à la fois ludique et ironique, dès le joyeux tintement initial de plusieurs triangles? Ou bien est-ce dans la simple gamme ascendante de cinq notes qui semble lutter face à un lent crescendo? A moins que ce ne soit dans la péroraison, apaisée, sur un solo de cor anglais puis un choral des cuivres.
Courte pièce (quatre minutes) également dotée d’un titre intrigant, These premises are alarmed (1996), soit «ces locaux sont sous alarme», fait référence au contexte de son écriture, à savoir l’inauguration de la nouvelle salle de l’Orchestre Hallé à Manchester: un délire virtuose quasi incessant, à l’effectif improbable (trompette basse et neuf plats à rôtir en métal [large roasting tins] compris), dans lequel on peut voir une sorte de test acoustique grandeur nature.
Beaucoup plus longue (trente-huit minutes) mais d’une esthétique assez proche, la nouvelle œuvre de Pascal Zavaro, The Meeting (2005), porte également un titre anglais, car elle est fondée sur des tableaux de Richard Lindner (1901-1978), un Américain d’origine allemande que l’on a pu découvrir au Musée de la vie romantique voici deux ans. Décidément, après Bacon et ses Trois études pour une crucifixion (2003), qui seront données le 1er mars prochain en même temps que la création de son Concerto pour violoncelle, le compositeur cultive les correspondances avec la peinture.
Comme Lindner lui-même dans The Meeting (1953), Zavaro réunit, en quatre mouvements successifs, autant de personnages auquel l’artiste a consacré séparément l’une de ses toiles: Boy with machine (1955), où l’on retrouve son goût pour le rythme et le swing, malgré une orchestration un peu compacte; Women with a whip, la partie la plus développée, où les cencerros ouvrent sur un univers énigmatique et ouaté; Ice (1966), avec ses grands blocs sonores zébrés de commentaires volubiles et son solo final de clarinette contrebasse. Enfin, Man with parrot, débutant à nouveau dans les oppositions de masses, semblant ensuite s’acheminer vers une conclusion brillante, mais le calme revient avant un claquement sec des percussions.
En parfait contraste avec cette évocation de «signaux urbains», quoique bénéficiant du même luxe instrumental (dont les bois par quatre, six cors, quatre trompettes et six percussionnistes), Vague de pierre (2005) de Thierry Pécou oriente l’auditeur vers une perspective immédiatement plus poétique que le second degré de Zavaro et de son inspiration: «la montagne avec ses flancs imposants» et «l’infini de la mer». Qualifiant ces quatre mouvements, après sa Symphonie du jaguar (2003), de «deuxième symphonie», Pécou dit avoir trouvé dans l’étude de François Cheng et François Jullien sur la pensée et l’art en Chine la structure et la forme de sa musique. De façon plus étonnante, il considère Mahler comme «l’ultime grand représentant» du genre symphonique, alors même que ces trente-deux minutes paraissent souvent s’inscrire, comme certaines pages de Dusapin, dans la descendance de Sibelius, même si l’on songe sans doute ici davantage aux Océanides, à Luonnotar ou à Tapiola qu’à ses symphonies.
Après l’Amérique centrale (Symphonie du jaguar), la Martinique (L’Oiseau innumérable, voir ici) ou l’Arctique (Nanouk, l’Esquimau, voir ici), le compositeur se tourne donc encore une fois vers un ailleurs lointain. Point de «chinoiseries», pour autant, même au énième degré ravélien, mais une coulée sonore extrêmement dense et puissante, d’une grande diversité d’expression: «primitivisme», paroxysmes et contrastes de registres du premier mouvement; sonorités plus fondues et sensuelles du deuxième, atmosphère paisible toutefois interrompue par un épisode central éruptif; troisième mouvement comme une sorte de scherzo jubilatoire. La construction semble ainsi bien partie pour obéir aux canons classiques, mais elle s’achève sur un long mouvement lent – après tout, Mahler a bien conclu certaines de ses symphonies par de vastes adagios: la fluidité prédomine depuis le scintillements des percussions et la méditation des quatre flûtes jusqu’à une péroraison à peine troublée par les roulements lointains des timbales, grands tambours ou grosses caisses. Une réussite qui relativise cruellement la portée des jeux brillants mais un peu vains de la «vedette» de ce festival, Thomas Adès.
Le site de Jonathan Stockhammer
Simon Corley
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