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Chevaux de bataille Paris Salle Pleyel 02/14/2007 - et 15 février 2007 Igor Stravinski : L’Oiseau de feu (Deuxième suite) – Le Sacre du printemps
Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon, opus 61
Frank Peter Zimmermann (violon)
Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach (direction)
En mars dernier, pour sa venue à l’Orchestre de Paris, Maxim Vengerov avait substitué in extremis au Premier concerto de Chostakovitch le Concerto (1806) de Beethoven (voir ici), suivi de L’Oiseau de feu (1910) de Stravinski dirigé par Esa-Pekka Salonen. Le programme Beethoven/Stravinski donné cette saison à deux reprises par l’Orchestre de Paris aurait donc eu un air de déjà entendu s’il n’avait été généreusement complété par Le Sacre du printemps (1913) et, surtout, si le chef ainsi que le soliste n’avaient pas changé: la formation parisienne retrouvait en effet ici son directeur musical, Christoph Eschenbach, ainsi qu’un musicien qui se produit avec elle depuis près d’un quart de siècle, Frank Peter Zimmermann.
Décidément peu originale – lorsque le violoniste allemand avait donné à Paris le Concerto de Beethoven avec l’Orchestre de Cleveland et Christoph von Dohnanyi en janvier 1999, la seconde partie était déjà consacrée au Sacre du printemps–, cette association doit cependant être considérée à la lumière de la prochaine tournée de près de deux semaines que l’orchestre entreprend en Allemagne et aux Pays-Bas, un exercice dans lequel il est de bon ton d’emmener de tels chevaux de bataille avec soi, mais aussi de ce qui devait être une première, la diffusion en direct du concert sur Internet, via le site de l’orchestre. L’opération a finalement échoué «pour des raisons techniques», mais les internautes pourront néanmoins se consoler en l’écoutant en différé, «à la demande», le 15 février entre 20 heures et minuit, ou bien même sur Radio Classique le lundi 9 avril à 21 heures.
L’Oiseau de feu en lever de rideau, alors que ce morceau de bravoure peut constituer une brillante conclusion? L’idée n’était en fait pas si incongrue, dans la mesure où ce n’est pas le ballet intégral qui était présenté, mais la Deuxième suite (1919), pour laquelle le compositeur a significativement allégé l’orchestration par rapport à l’original de 1910. Dans une lecture plaisante, tranchante et contrastée, Eschenbach joue pleinement de ce format relativement réduit, qui regarde davantage vers l’avenir (l’objectivité des années 1920) que vers le passé (l’influence de Rimski). Dommage toutefois que la Danse infernale soit précédée d’un silence qui, si court soit-il, casse une partie de l’effet de surprise produit par le premier accord.
Encore le Concerto de Beethoven, qui apparaît, bon an mal an deux fois par saison – à nouveau le 11 juin prochain à Pleyel par Sergey Khachatryan accompagné par l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et Riccardo Chailly? Il serait toutefois difficile d’en faire le reproche à Zimmermann, non seulement parce qu’il a fait l’effort, dans le passé, de se produire dans des œuvres plus rares (Barber, Britten), mais aussi parce qu’avec lui, le risque d’une lecture routinière paraît d’emblée écarté. Dans l’Allegro ma non troppo initial, assez allant, il met avant tout en valeur une sonorité pure, un ton limpide, dépourvu des alanguissements que s’autorise parfois Eschenbach de son côté, mais aussi une belle puissance. Vision apollinienne, parfaitement équilibrée, mais quelques à-coups plus combatifs laissent à penser qu’il semble se contenir et qu’il est prêt à en découdre, se joignant à quelques tutti, cherchant sans cesse du geste ou des yeux la complicité de l’orchestre, comme s’il avait envie de le diriger lui-même. Confirmant une tendance un peu coquette au portamento, le Larghetto se libère davantage, même si c’est parfois au prix d’une certaine préciosité. La libération est totale dans le Rondo final, où Zimmermann, virtuose, fantasque et capricieux, ne tient plus en place.
Encore la Sarabande de la Deuxième partita de Bach, inusable bis des violonistes? Mais ici aussi, il sort de l’ordinaire par une interprétation romantisante, vive et rhapsodique, avec un soin particulier apporté à la couleur, alternant jeu avec ou sans vibrato.
Le Sacre du printemps est apparu une douzaine de fois dans la capitale depuis huit ans, dont déjà en février 2001 à l’Orchestre de Paris avec Eschenbach (voir ici), et, au cours du premier semestre, le public parisien, après la décevante prestation de l’Orchestre symphonique de Melbourne avec Oleg Caetani le mois dernier (voir ici), aura encore le choix, toujours à Pleyel, entre l’Orchestre philharmonique de Radio France avec Myung-Whun Chung le 9 mars et l’Orchestre symphonique de Londres avec Valery Gergiev le 1er avril.
Mais ces «Tableaux de la Russie païenne» résistent heureusement à tout, en particulier à l’usure et à des approches très différentes. Dès le solo initial de basson, au phrasé inhabituellement travaillé, Eschenbach impose dans cette musique une vision étonnamment lyrique et expressive, un aspect que l’accent généralement mis sur le rythme, tant son élan irrésistible que son caractère innovant, relègue souvent au second plan. Les sonorités, laides ou raffinées, font l’objet d’une attention permanente, créant dans les introductions des deux parties un climat capiteux, oppressant et frémissant. Ce Sacre aux couleurs franches évoque peut-être davantage L’Oiseau de feu ou Petrouchka, mais il n’en dégage pas moins une énergie haletante, grâce à l’urgence et à la dramatisation que le chef allemand imprime par exemple à la Glorification de l’Elue ou à la Danse sacrale. Le tout est efficacement servi par un orchestre luxueusement distribué, où, fait exceptionnel, bon nombre de pupitres bénéficient du concours de leurs deux supersolistes.
Simon Corley
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