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L’ange vous met le feu Bruxelles La Monnaie 01/25/2007 - 25, 26, 28*, 30 janvier et 2, 4, 8, 10 février 2007 Serge Prokofiev : L’Ange de feu, opus 37 Igor Tarasov/Tómas Tómasson* (Ruprecht), Svetlana Sozdateleva/Elena Popovskaya* (Renata), Elena Manistina (La voyante), Beata Morawska (La patronne de l’auberge), Leonid Bomstein (Méphistophélès), Vitali Taraschenko (Agrippa von Nettesheim), Ante Jerkunica (Johann Faust), Vladimir Samsonov (L’inquisiteur), Maria Gortsevskaya (La mère supérieure), Lorenzo Caròla (Jacob Glock), Zeno Popescu (Le médecin), Andrej Baturkin (Mathias Wissmann), Nabil Suliman (Le cabaretier)
Orchestre symphonique et Chœurs de la Monnaie, Piers Maxim (chef des chœurs), Kazushi Ono (direction musicale)
Richard Jones (mise en scène), John Macfarlane (décors), Nicky Gillibrand (costumes), Mimi Jordan Sherin (éclairages), Linda Dobell (chorégraphie)
Si L’Ange de feu est si rare sur scène, c’est peut-être principalement à cause de la difficulté de distribuer le rôle féminin principal. Mais en invitant pour la première fois Elena Popovskaya pour endosser le personnage de Renata (en alternance avec Svetlana Sozdateleva), la Monnaie met à son actif un des grands atouts de sa nouvelle production. La soprano russe réussit magistralement l’incarnation de cette jeune fille schizophrénique et obsédée. Certes, la voix répond aux exigences du rôle mais surtout, physiquement et théâtralement, Elena Popovskaya est d’une rare crédibilité. On n’oubliera pas de sitôt les scènes intenses, magnifiées, qui plus est, par l’extraordinaire partition de Prokofiev, dans lesquelles Renata dessine, sur des immenses murs gris, ses visions, et en particulier le visage de Madiel, son "ange de feu" qui l’obsède, et qu’elle reconnaît dans celui du Comte Heinrich.
Dans des décors grisâtres, assez laids et sinistres mais en définitive assez convaincants, Richard Jones accentue la solitude de Renata qui intrigue et fascine Ruprecht, interprété avec conviction par Tómas Tómasson. Le metteur en scène anglais ne manque pas d’idées pour faire évoluer les deux principaux protagonistes dans une scénographie angoissante qui extrait cet opéra de son contexte moyenâgeux pour le replacer dans un espace contemporain, bien qu’indéterminé.
Néanmoins, l’Inquisition est ici pleinement mise en évidence, à commencer dans le cinquième acte, illustrant un cas étrange de possession. Alors qu’il aurait pu dénuder les nonnes, à l’instar de David Freeman dans sa production pétersbourgeoise immortalisée au disque et en DVD, Richard Jones n’offre rien d’émoustillant ou, c’est selon, de scandaleux à voir mais il réussit à rendre l’impact saisissant de cette scène inouïe. L’Inquisition est également illustrée dans des interludes durant lesquels, référence aux régimes totalitaires (mais sans les costumes de SS, vus mille fois), des livres mis à l’index sont mis au feu. Le feu, qui revient très souvent, tel un leitmotiv, dans cette puissante production, de même que, apparaissant de temps à autres sur les murs, des yeux observant, inquisiteurs, les personnages. Avec cet opéra extrêmement fragmenté et agité, Richard Jones signe un spectacle démoniaque, parfois échevelé, mais d’une grande force de persuasion.
Accompagnant une troupe de chanteurs sans maillon faible, majoritairement russophone dans les rôles principaux, Kazushi Ono restitue avec une grande précision rythmique, une indéniable clarté et un immense savoir-faire théâtral, la dense partition orchestrale de cette œuvre tumultueuse et paroxystique. Le propre des grands chefs de fosse, en somme...
Sébastien Foucart
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