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Rendez-vous manqué! Paris Théâtre des Champs-Elysées 01/22/2007 - Airs extraits d’opéras de Donizetti, Massenet, Verdi… Patrizia Ciofi (soprano), Joseph Calleja (ténor)
Orchestre National d’Ile-de-France, Alain Altinoglu (direction)
Comme tous les ans Les Grandes Voix s’invitent au Théâtre des Champs-Elysées, mais avec une particularité cette saison. En effet, les chanteurs se produisent en duo: le ténor Joseph Calleja et la soprano Patrizia Ciofi se partagent donc la scène pour un récital presque essentiellement consacré au bel canto.
Le nom de Joseph Calleja commence à circuler de plus en plus sur les grandes scènes internationales mais le chanteur ne s’était pas encore produit à Paris. Il fait ce soir ses débuts sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées et le public lui réserve un assez bel accueil, avec de chaleureux applaudissements à la fin du concert. Joseph Calleja est très jeune, 28 ans, et la voix qu’il nous montre aujourd’hui est vouée à se développer et à se nuancer. Son instrument très généreux lui permet de tenir les notes très longtemps avec parfois un goût et des effets douteux comme la fin de “Una furtiva lagrima” de L’Elisir d’amore: il met beaucoup de silences entre les notes finales, etc…
Joseph Calleja commence le concert avec “O figli” de Macbeth. Il attaque avec puissance le début de l’air, avec trop de puissance même. Il appesantit le côté dramatique de l’air, avec des effets appuyés sur le dernier “figli”, qu’il détache et met en relief. De manière générale, il passe d’une nuance à une autre, sans proposer de nuances intermédiaires, et si cela peut paraître habile, ce n’est pas forcément musical. Le chanteur a du mal à brosser le portrait d’un personnage et il chante tous les airs un peu de la même manière, sans vraiment respecter les couleurs et le style de chaque répertoire. Ses incursions dans la musique française ne sont guère plus convaincantes avec un Roméo trop monochrome et pas assez douloureux et un Werther trop rageur. Le début du Lied d’Ossian laissait présager pourtant un bon moment, mais finir les phrases en diminuendo n’a jamais suffi pour exprimer les sentiments d’un personnage. Il est sûr que l’esthétique vocale de Joseph Calleja est très originale comparée à des ténors comme Rolando Villazon, à l’émission chaleureuse, ou Marcelo Alvarez et ses aigus brillants et percutants. Le gros problème de ce chanteur, c’est qu’il est affublé d’un trop important vibrato qui gâche, surtout dans les notes tenues, son timbre qui est, somme toute, très beau. En guise de bis, il chante “Non ti scordar di me”: le chanteur semble détendu et il se laisse davantage aller pour séduire et charmer l’assistance.
Patrizia Ciofi a enflammé les Chorégies d’Orange l’été dernier et elle arrive donc en véritable star au Théâtre des Champs-Elysées. Mais en ce qui la concerne aussi, la déception est grande. La voix est voilée, le timbre n’est pas toujours très beau et elle ne caractérise pas toujours bien ses personnages. De plus elle semble souffrir à chaque note et elle ne bénéficie pas de la même facilité vocale que son collègue ténor. Patrizia Ciofi commence avec l’air de Norina “Quel guardo il cavaliere” de Don Pasquale qu’elle minaude un peu trop. La voix est grossie et si les vocalises sont correctement exécutées, elle les termine par des piani qui sont presque inaudibles. Elle se montre nettement plus convaincante dans Lucia où elle est entièrement prise par la musique: elle chante le premier air “Regnava nel silenzio” immédiatement comme un air tragique et la cabalette “Quanto rapito” sonne alors assez faux. On est loin du feu d’artifice vocal de Natalie Dessay! Patrizia Ciofi aborde également le répertoire français avec la valse de Juliette de l’opéra de Gounod. Elle apporte également une couleur tragique à son chant, ce qui est hors-sujet puisque le jeune fille est, à ce moment, tout à un bonheur naïf: le rythme de la valse n’est pas respecté, elle hache trop la première phrase “Ah, je veux vivre”…Et bien sûr on ne comprend pas un traître mot de ce qu’elle raconte. En revanche la soprano retrouve tous ses moyens dans l’air “Il faut partir” de La Fille du régiment: elle redevient émouvante, la voix est petite mais belle, elle nuance correctement… Une magie se dégage alors de son interprétation et on “croit” au personnage de Marie.
Les chanteurs se seraient peut-être sentis plus à l’aise s’ils avaient eu pour les diriger un chef d’orchestre digne de ce nom. Alain Altinoglu est très en deçà de ce que l’on peut attendre car il hache les œuvres, les dénature. L’orchestre interprète un certains nombres de pièces orchestrales issues d’opéras: le concert s’ouvre sur l’ouverture de Don Pasquale de Donizetti qu’Alain Altinoglu massacre complètement: direction décousue, aucun humour, tempi trop lents ou bien trop rapides ce qui conduit à une orchestration trop forte. L’Intermezzo de Cavalleria rusticana connaît le même sort avec une direction trop lourde. Le chef a des velléités de faire des nuances mais il n’a aucune subtilité et il n’émeut pas. Seule la Valse de Faust est assez bien jouée, du moins au début car la fin redevient trop forte.
Un concert qui semblait plein de promesses et qui, au final, se révèle assez décevant. En effet, Joseph Calleja possède des moyens évidents mais qu’il n’arrive pas encore à suffisamment dominer pour faire de l’art et Patrizia Ciofi a trop de musicalité en elle pour la canaliser avec une voix un peu fatiguée et qui ne répond pas toujours. Même si le public réserve un accueil très enthousiaste aux deux chanteurs, on restera un peu plus sur la retenue, en espérant voir bientôt le jeune ténor sur la scène de la Bastille et dans un rôle complet.
A noter:
- Patrizia Ciofi vient de sortir un nouvel enregistrement de Il Combatimento di Tancredi e Clorinda en compagnie de Rolando Villazon et sous la direction d’Emmanuelle Haïm chez Virgin Classics (voir ici), ainsi que le DVD de La Figlia del regimento avec Juan Diego Florez chez Decca.
- Le second récital de Joseph Calleja (“The golden album”) vient d’être édité chez Decca.
Manon Ardouin
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