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Œuvre de jeunesse! Paris Théâtre du Châtelet 01/18/2007 - et 20, 22, 24, 26, 28 janvier 2007 Gioachino Rossini : La pietra del paragone Sonia Prina (Clarice), Laura Giordano (Donna Fulvia), François Lis (Asdrubale), José-Manuel Zapata (Giocondo), Joan Martin-Royo (Macrobio), Christian Senn (Pacuvio), Jennifer Holloway (Baronne Aspasia), Filippo Polinelli (Fabrizio)
Coro del Teatro Regio di Parma, Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction)
Christian Taraborelli (costumes), Gianluca Cappelletti (lumières), Giorgio Barberio Corsetti & Pierrick Sorin (mise en scène, scénographie et vidéo)
La pietra del paragone est rarement montée et pour cause: cet opéra de Rossini est loin d’égaler les sommets musicaux atteints par Le Barbier de Séville, La Cenerentola ou bien encore L’Italienne à Alger. Le compositeur se cherche pendant trois heures et la musique ne “décolle” pas vraiment. La mise en scène n’engage pas non plus à découvrir cette œuvre car elle accentue ce sentiment d’ennui et n’en apporte pas une lecture originale. Reste la direction survoltée et énergique de Jean-Christophe Spinosi qui arrive, avec brio, à mettre un peu de vie dans la partition.
La mise en scène repose sur un système simple: des figurants apportent sur scène des maquettes d’un décor hypothétique que des caméras reproduisent sur six écrans suspendus au fond de la scène. Les personnages, à l’aide d’autres caméras, s’incrustent dans ces écrans et semblent donc évoluer dans le décor. Ce procédé aurait pu être original s’il n’avait pas été la seule idée de toute la mise en scène: trois heures peuvent alors sembler longues… Quelques gags sont assez bien réussis, comme la bataille au cactus entre le comte, Giocondo et Macrobio, mais reste à savoir si ce la sert vraiment l’intrigue. Le gros problème de cette production, c’est que le public a les yeux rivés sur ces écrans qui montrent en très gros plans les chanteurs et ne regarde plus ce qui se déroule réellement sur scène: la musique de Rossini devient alors encore plus éloignée et il est presque impossible d'entrer dans l’intrigue aussi bien que dans la musique. Les costumes sont modernes et très colorés: Donna Fulvia porte une robe jaune, Aspasia une rouge et Clarice donne plutôt dans l’orange.
La distribution est composée de jeunes chanteurs qui assument relativement bien la partition mais on ne pas sent suffisamment de familiarité avec la langue et, surtout, avec les vocalises rossiniennes. Le rôle-titre est dévolu à Sonia Prina, récemment entendue dans Cornelia de Giulio Cesare de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées (voir ici. Elle avait montré une femme douloureuse, perdue dans ses sentiments, alors qu’ici elle se dévoile dans un registre de “comédie”. La voix est toutefois peu agile et elle est souvent en difficultés dans les vocalises qui sont rapidement esquivées. Son timbre de contralto, un peu rauque, manque d’harmoniques et elle ne parvient pas à être aussi douce et amoureuse qu’elle le voudrait. Elle se montre nettement plus à l’aise quand elle arrive déguisée en son frère.
Laura Giordano est bien connue du public parisien. Et pourtant elle n’avait pas laissé une telle impression de déception... Elle qui avait un timbre fruité, doux, piquant, elle apparaît maintenant avec une voix un peu abîmée, aigre dans les aigus, avec une grande perte dans le legato et dans l’agilité. Peut-être une méforme. En revanche, elle est une actrice très convaincante et elle donne beaucoup de relief et de piquant au personnage de Donna Fulvia.
François Lis commence à s’imposer sur les scènes françaises et il campe le comte Asdrubale avec beaucoup de conviction. Physiquement il est idéal pour le rôle car il joue de sa grande taille, de son visage expressif pour faire évoluer son personnage et le rendre de plus en plus humain, c’est-à-dire amoureux. La voix a bien progressé même si certains passages dans les aigus demandent encore un peu de soutien et de puissance. Ses graves, en revanche, sont un peu métalliques à défaut d’être chaleureux et somptueux. Il n’est pas encore très agile dans les vocalises, mais il est impressionnant dans son air final dans lequel il exprime tout son amour pour Clarice avec des accents doux et une émotion remarquable.
José-Manuel Zapata commence assez timidement la représentation pour ensuite littéralement exploser dans son air du deuxième acte où il déclare sa flamme pour Clarice. Sa voix n’est pas sans faire penser à celle de Juan Diego Florez, la brillance dans les aigus en moins. Son interprétation vocale est assez fine car il sait bien jouer sur les nuances, les piani, etc… Il devra, en revanche, s’aguerrir un peu sur scène car il ne fait pas passer beaucoup de sentiments dans ses gestes et dans son évolution scénique. Un nom à retenir car il est à parier que l’on réentendra parler de lui d’ici peu...
Joan Martin-Royo est une (future) bête de scène. Il possède déjà toute la rouerie nécessaire pour camper les barytons intelligents de Rossini, de Figaro en passant par Dandini, etc… Il a en lui la vis comica ainsi que la légèreté et l’agilité qu’il faut pour aborder ce répertoire. Il apporte un peu de vivacité à la partition notamment dans cet air extraordinaire où il peint la corruption des journalistes et des critiques d‘art. Il est animé d’une énergie qui lui permet de se distinguer dans la distribution. La voix est également à la hauteur puisqu’il peut la nuancer et la modeler avec facilité. Il reste à souhaiter que son timbre se personnalise un peu plus dans les années à venir.
Le reste de la distribution est tout à fait honnête à commencer par Pacuvio, rôle tenu par Christian Senn. Pacuvio est un poète qui ne vit que pour ses sonnets et ses vers mais que tous les personnages ignorent ou méprisent ouvertement. Le chanteur réussit à faire transparaître dans sa voix la naïveté du poète, sa bêtise apparente. La Baronne Aspasia, qui porte bien son nom, est chantée par Jennifer Holloway qui semble une chanteuse intéressante au timbre corsée, mais ses interventions sont trop courtes pour qu’on puisse réellement émettre un jugement. Enfin Fabrizio, l’aide d’Asdrubale, dévoile également une voix qui donne envie de l’écouter davantage. Filippo Polinelli semble posséder suffisamment de dextérité pour l’esthétique rossinienne.
Le Chœur du Théâtre de Parme est, comme toujours, excellent! Les choristes possèdent la puissance, l’instinct musical, la verve nécessaire pour Rossini et surtout ils sont impeccables au point de vue du solfège. Le Chœur de l’Opéra de Paris devrait en prendre de la graine...
L’Ensemble Matheus est mené d’une main de fer par Jean-Christophe Spinosi. Il avait déjà dirigé un Rossini il y a quelques années et on avait pu remarquer les prémices d’une belle “amitié” entre lui et ce compositeur. Et effectivement sa direction de La pietra del paragone est vive, énergique, musicale et expressive. Le chef ne laisse aucun temps mort dans la partition, il détache parfaitement toutes les notes et il sauve véritablement cette production de l’ennui et de la déception. Il joue beaucoup sur les alternances de nuances, piano, forte avec une habileté et un bon goût qui forcent l’admiration. Espérons que ses projets le mèneront vers ce compositeur, car il semble avoir beaucoup d’intuition pour diriger sa musique!
La pietra del paragone n’est pas une œuvre impérissable de Rossini mais menée de cette manière, elle devient nettement plus intéressante. Cette production, avec ses longueurs et ses inexactitudes vocales, a toutefois le mérite de remettre sur le devant de la scène une œuvre qui avait déserté depuis longtemps les théâtres. Peut-être cette expérience donnera-t-elle l’idée à des directeurs de proposer cet opéra à un metteur en scène plus inspiré et à des chanteurs plus rompus à la grammaire rossinienne...
Manon Ardouin
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