Back
Prima la musica Paris Palais Garnier 11/30/2006 - et 3, 5, 11, 15, 18, 22, 27 & 29 décembre 2006 Wolfgang Amadeus Mozart : Idoménée, K. 366 Charles Workman*/Ramon Vargas (Idoménée), Camilla Tilling (Ilia), Mireille Delunsch (Electre), Thomas Moser (Arbace), Xavier Mas (le Grand-Prêtre)
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Thomas Hengelbrock (direction)
Luc Bondy (mise en scène)
Après le tsunami. Atmosphère blafarde – des fumigènes répandent des vapeurs. La plage est jonchée de débris divers. On enterre les enfants morts. L’Idoménée de Luc Bondy ou les lendemains de cataclysme. Une Crète archaïque, avec femmes habillées de noir et des prêtres qui ont l’air de descendre des Vieux Croyants de la Khovantchina. Rien d’étonnant si on y pratique les sacrifices humains. Rien d’étonnant non plus si la lumière ne semble jamais y pénétrer, malgré la douche qui, à la fin, éclaire le jeune couple. Pourquoi pas ? Il reste que la production, inaugurée à la Scala de Milan pour l’ouverture de la saison 2005-2006, constitue plutôt une déception, surtout de la part de celui qui nous a donné de si fortes émotions. On cherche en vain une tension, un suspense dans cette mise en scène assez convenue. Charles Workman, qui remplace au pied levé Ramon Vargas dans le rôle titre – ce dernier devrait le reprendre à partir du 5 décembre -, n’a du coup aucun mal à s’y intégrer : pour un peu, c’est lui qu’on trouverait le plus tragique. Au troisième acte, les choses prennent enfin un peu de substance, sans vraiment convaincre. Bref, l’ensemble, paraît peu inventif et ne sert guère la cause du seriamozartien. Cela dit, entendons-nous : il n’y a pas là de quoi huer, comme d’aucuns l’ont fait, un travail qui reste, malgré son manque de relief, tout à fait honnête. C’est désormais, les soirs de première à Paris, une habitude, voire une manie, un tic. Cela ne veut plus rien dire.
La vérité d’Idoménée réside dans l’interprétation musicale. Père tourmenté, Charles Workman est remarquable de tenue vocale, avec un art consommé du phrasé et du legato, témoignant d’autant d’assurance, notamment dans le fameux « Fuor del mar », que d’émotion. Nul n’aurait pu deviner dans quelles circonstances il a abordé le rôle. Le fils est au niveau du père : l’Idamante de Joyce DiDonato s’impose d’emblée par la beauté du timbre, l’homogénéité de la tessiture, la noblesse du style et de la composition, trouvant le juste équilibre entre la tendresse et la passion. La voix de Camilla Tilling, en revanche, donne au début des signes d’aigreur qui compromettent son « Padre, germani » ; sans jamais devenir vraiment séduisante, elle s’arrondit progressivement et on finit par s’attendrir sur cette Ilia scrupuleusement stylée, qu’on croirait sortie d’un pensionnat troyen bon chic bon genre, à laquelle il manque quand même une certaine aura. Mireille Delunsch n’a pas non plus - s’agissant d’Electre, est-ce d’ailleurs vraiment un défaut ? - la voix la plus séduisante du monde, quelques notes sont même un peu rêches, mais elle compose un personnage, de chair et de sang, très pure de ligne dans un « Idol mio » éthéré, jamais désordonnée dans les éclats furieux de « D’Oreste, d’Ajace ». Totale erreur de distribution, en tout cas, pour Arbace, qu’il ne faut surtout pas confier à un ténor déclinant : le « Se cola ne fati » de Thomas Moser, si admirable chanteur naguère, fait peine à entendre. N’aurait-on pas dû plutôt lui proposer le Grand-Prêtre et Arbace à Xavier Mas ? Mais, le chœur trahissant une certaine dureté, la qualité de l’ensemble doit beaucoup à la direction Thomas Hengelbrock, qui, derrière les conventions du seria, sait, comme Mozart, retrouver les ressorts d’une vraie tragédie : tout avance, sans temps mort, sans inutile précipitation non plus, grâce à un souffle théâtral qui, de l’Ouverture à la fin, ne se tarit jamais. On peut seulement se demander si imposer un jeu à l’ancienne à un orchestre dont ce n’est pas la culture se justifie vraiment : alors que les bois, par exemple, restent très beaux, avec de magnifiques solos, la sonorité des cordes semble un peu asséchée.
Didier van Moere
|