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La magie du théâtre

Paris
Palais Garnier
10/23/2006 -  et 25, 27, 30 octobre, 3, 6, 8 novembre 2006
Wolfgang Amadeus Mozart : Cosi fan tutte, K. 588

Erin Wall (Fiordiligi), Hannah Esther Minutillo (Dorabella), Stéphane Degout (Guglielmo), Shawn Mathey (Ferrando), Marie McLaughlin (Despina), Ruggero Raimondi (Don Alfonso)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Peter Burian (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Gustav Kuhn (direction)
Patrice Chéreau (mise en scène), Richard Peduzzi (décors), Caroline de Vivaise (costumes), Bertrand Couderc (lumières), Thierry Thieû Niang (collaborateur aux mouvements)


L’Opéra national de Paris propose à nouveau, pour sept représentations, la coproduction de Cosi fan tutte (1790) de Mozart réalisée avec les Wiener Festwochen et le Festival d'Aix-en-Provence, où elle fut créée en juillet 2005, et déjà présentée onze fois à Garnier pour la rentrée 2005 (voir ici): rarement le terme de reprise aura été plus approprié, puisque treize mois plus tard, l’on retrouve tous les protagonistes de la saison précédente, à la seule exception de deux changements dans la distribution vocale, dont l’un de dernière minute, en raison du forfait d’Elina Garanca «pour des raisons personnelles».


Le public s’installe, mais le rideau est déjà ouvert et quelques figurants ont pris place sur le plateau – comme ils le feront ensuite durant l’entracte –, au pied d’un grand mur décrépit, dominé par une large inscription «Vietato fumare» en lettres capitales, en dessous de laquelle les sous-titres seront projetés. Cosi hors d’une bonbonnière à la Ponnelle? Chéreau, avec pudeur, sans la moindre vulgarité, sans tours de passe-passe ni poudre aux yeux, démontre qu’un tel pari peut parfaitement être tenu et signe même l’une des plus admirables mises en scène qu’il nous ait été donné de voir à Paris au cours de ces dernières années. Alors même que le public de la capitale – ou, tout du moins, une partie de ce public – a pris l’habitude de huer les spectacles lyriques, ce travail reçoit heureusement un accueil des plus chaleureux: une réaction réconfortante, saluant le fait qu’il est encore possible d’innover dans le grand répertoire sans céder à la tentation de la provocation facile ni se contenter d’une confortable ou hasardeuse transposition dans le temps.


L’ouverture retentit puis, lumières toujours allumées, les premières scènes se déroulent de part et d’autre de la fosse, tantôt derrière, tantôt sur les côtés, tantôt devant, parmi les rangs des spectateurs; de même, plusieurs fois au cours de la soirée, les personnages entrent ou sortent en traversant le parterre. Toute l’ambition de Chéreau se situe dans ce souci de continuité entre la salle et la scène, comme s’il voulait abolir la frontière entre la vie et le théâtre. C’est pourquoi le décor représente une Italie théâtrale, au sens propre du terme: les coulisses d’un théâtre contemporain (le radiateur en atteste, entre échelles, cordes et projecteurs), peuplées de figurants à la Strehler qui, dans des costumes XVIIIe de Caroline de Vivaise cultivant les ocres et les gris, se chargent notamment de déplacer prestement des accessoires délibérément sobres (malles, tables, tabourets, tapis, …). Cet envers des choses ne vise certes pas au sublime, encore moins au joli, mais il décrit à la fois la réalité, pas toujours brillante (les éclairages parcimonieux et métalliques de Bertrand Couderc y pourvoient), et la magie d’un univers qui est celui de Chéreau depuis plus de quarante ans.


Car pour ce qui marquait son retour dans le monde de l’opéra, il a choisi l’un de ceux qui offre une réflexion particulièrement poussée sur la fiction et le déguisement, c’est-à-dire sur l’essence même du théâtre. Et rarement Cosi, faisant fi de ces invraisemblances qui ont souvent constitué le prétexte d’inutiles détournements de sens – non, les demoiselles n’ont pas compris d’emblée la supercherie – aura tenu ainsi en équilibre sur le fil et aura paru si juste et vraisemblable, ou même tout simplement si vrai, dans une lecture qui ne nous fait pas dupes de sa crédibilité tout en nous laissant sous l’emprise de son pouvoir d’attraction. Et la démarche n’est pas purement spéculative car, au travers d’une direction d’acteurs d’une richesse éblouissante, l’humour conserve ses droits et chaque instant ouvre des perspectives nouvelles sur le livret.


Davantage que d’une classique construction en abyme sous la forme d’un «théâtre dans le théâtre», Chéreau joue plutôt ici du second degré. Bien sûr, la barque annoncée par Don Alfonso est une nacelle métallique qui va rejoindre les cintres; bien sûr, le notaire, au second acte, porte la même sacoche que le médecin au premier acte; bien sûr, Fiordiligi se regarde dans un tableau noir et non dans un miroir. Mais ce sont précisément ce recul et cet éloge de la force de l’imaginaire qui font tout le prix d’une approche dans laquelle le metteur en scène a mis beaucoup de lui-même: certaines figures de son «Ring du centenaire» à Bayreuth réapparaissent d’ailleurs de façon inattendue, que ce soit dans la manière dont les personnages se donnent la main pour éviter de tomber, à l’image des dieux qui, à la fin de L’Or du Rhin, gagnaient le Walhalla en titubant, ou dans l’expression saisissante d’une foule où figurent quelques enfants, comme durant la marche funèbre de Siegfried dans Le Crépuscule des dieux.


E poi la musica? Certes, Gustav Kuhn, à l’unisson d’un clavecin à la sonorité d’une rare laideur, assure une direction routinière et sèche, mais il a au moins le mérite de maintenir l’équilibre entre un orchestre réduit (trente-deux cordes) et une distribution vocale de bon niveau. Car si Ruggero Raimondi n’est hélas plus que l’ombre de lui-même, quoique l’acteur vienne au secours du chanteur, la prestation de ses partenaires se révèle nettement plus satisfaisante.


Erin Wall est une Fiordiligi inégale: au premier acte, elle montre une fâcheuse tendance à crier ses aigus, mais elle livre ensuite un excellent rondo «Per pieta», malgré des graves toujours insuffisants, peu timbrés et manquant de projection. La Dorabella sérieuse et cassante de Hannah Esther Minutillo déroute quelque peu, avec, même si elle possède la tessiture du rôle, une émission étriquée, un manque d’homogénéité entre les registres et des couleurs trop acides. Seul véritable apport de cette reprise, Marie McLaughlin remplace Barbara Bonney: voix peut-être un peu charnue pour Despina, mais ne peinant pas à convaincre, car son tempérament compense ses quelques imprécisions. Du côté des hommes, la ligne de chant est remarquablement tenue, mais le Guglielmo, superbe d’aisance et de style, au timbre chaud et velouté, de Stéphane Degout prend légèrement le pas sur le Ferrando de Shawn Mathey, indéniablement puissant, par exemple dans sa cavatina «Tradito, schernito», mais moins à l’aise dans le mezza voce de «Un’aura amorosa».



Simon Corley

 

 

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