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David contre les Philistins

Paris
Hôtel national des Invalides
10/09/2006 -  
Arnold Schönberg : Six petites pièces, opus 19
Jean Philippe Rameau : Gavotte et Doubles de la gavotte extraits des «Nouvelles suites de pièces de clavecin»
Domenico Scarlatti : Sonates K. 27, 141, 380 et 531
Johann Sebastian Bach : Fantaisie chromatique et Fugue, BWV 903
Leos Janacek : Sonate «1er octobre 1905»
Serge Prokofiev : Roméo et Juliette, opus 75 (trois extraits)
Enrique Granados : El Amor y la Muerte (extrait de «Goyescas»)

David Greilsammer (piano)


David Greilsammer, qui fêtera ses trente ans en 2007, a tout du pianiste postmoderne: il compose des programmes originaux et diversifiés au sein desquels alternent musiques baroques et modernes, instillant au passage une dose de Schönberg dans une œuvre de Bach, il n’hésite pas à interpréter les clavecinistes au piano et il a abandonné le traditionnel frac pour se présenter vêtu d’un costume scintillant signé par un grand couturier dont le nom est obligeamment mentionné dans sa biographie. Si certains ont déjà eu la possibilité de l’entendre en concerto en Ile-de-France ou à Sully-sur-Loire la saison passée, la saison musicale du Musée de l’armée, en association avec les services culturels israéliens, offrait une belle occasion de le découvrir en récital à Paris.


La première partie de la soirée était bâtie autour des Six petites pièces (1911) de Schönberg, servant de façon assez inattendue d’introduction ou de commentaire à trois compositeurs du XVIIIe, expérience amusante, suscitant des enchaînements troublants, à défaut d’être nécessairement convaincante, qui laisse en même temps la fâcheuse impression que l’on essaie ainsi de faire avaler au public la pilule atonale en la dissolvant dans des partitions réputées plus abordables.


Rameau, d’abord, avec les Gavotte et Doubles de la gavotte extraits des Nouvelles suites de pièces de clavecin (1728): nulle tentation d’imiter ici l’instrument originel, mais un piano moderne dans toute sa plénitude, d’une extravagance plus romantique que baroque, auquel on pourra reprocher une dynamique parfois trop puissante et une main gauche envahissante, mais qui ne manque ni de vitalité, ni de rythme.


Scarlatti, ensuite, avec quatre de ses Sonates (1738-1757): ornementant les reprises, Greilsammer empoigne ces pages généralement abordées comme de fragiles miniatures et, procédant par éruptions aussi brèves que brusques, en fait ressortir une violence insoupçonnée, bien au-delà des indications du texte, comme avec cette note répétée crescendo dans la Sonate en si mineur [K. 27]. Lecture électrique et percussive, pour ne pas dire survoltée ou déjantée, tout à fait contestable, indéniablement personnelle et atypique, mais parfaitement cohérente, quoique manquant sans cesse de franchir la limite entre subjectivité et arbitraire.


Bach, enfin, avec une Fantaisie chromatique et Fugue (1725) virtuose et risquée, comme si ce diptyque avait été réécrit par Busoni. Tout est dans tout, et réciproquement, tel pourrait être le message véhiculé par cet assemblage quasiment incongru, traduisant une volonté de fusionner les répertoires, d’offrir un voyage sans complexes et sans frontières, du baroque au XXe siècle. Nouveau combat de David contre les Philistins qui défendent de nos jours une hypothétique «authenticité» à tout prix?


La seconde partie présentait trois récits tragiques dans lesquels le goût de l’interprète pour la dramatisation pouvait s’exprimer quasiment sans retenue. Frénétique et contrastée, la Sonate «1er octobre 1905» de Janacek aura ainsi rarement paru aussi rhapsodique, entre heurts et évanescence.


Sélectionnant trois des dix numéros que Prokofiev adapta lui-même de son ballet Roméo et Juliette (1938), Greilsammer dérape quelque peu, tant dans Mercutio, trop précipité pour demeurer intelligible, que dans Frère Laurent, affecté par des ralentis intempestifs et des problèmes de toucher, comme si le clavier du Fazioli se révélait difficile à apprivoiser, tandis que Montaigus et Capulets souffre de trop d’hésitations et d’imprécisions, malgré une partie centrale délicieusement ambiguë.


La boucle était bouclée avec L’Amour et la Mort, tiré des Goyescas (1911) de Granados, écrits la même année que les Pièces de Schönberg choisies en première partie: entre Liszt et Rachmaninov, c’est un jeu sonore et coloré qui se déploie, mais l’expression n’en demeure pas moins sincère et juste.


En bis, Greilsammer montre qu’il s’intéresse décidément au jeune Mozart, dont il a enregistré les trois premiers concertos (voir ici), en offrant d’abord l’Adagio de la Deuxième sonate (1774). Toutes les caractéristiques du pianiste israélien sont ici au rendez-vous: intensité, attention portée aux voix secondaires, accents fortement marqués, ornementation soignée. Et il conclut par un clin d’œil à son prénom, avec la quatorzième pièce des Davidsbündlertänze (1837), démontrant qu’il sait aussi, se conformant aux indications de Schumann, être «doux et chantant».


Le public français pourra retrouver David Greilsammer le 5 avril prochain à Sartrouville dans une «carte blanche» intitulée «Fantaisies et fantasmes», avant une série de quatre concerts dans l’Aveyron fin avril et un récital aux Bouffes du Nord le 7 juin.


Le site de David Greilsammer



Simon Corley

 

 

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