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Le sacre de Sextus Paris Palais Garnier 09/11/2006 - et 17, 19, 22, 25, 28 septembre, 2 octobre 2006 Wolfgang Amadeus Mozart : La clemenza di Tito, K. 621 Christoph Prégardien (Titus), Anna Caterina Antonacci (Vitellia), Ekaterina Syurina (Servilia), Elina Garanca (Sextus), Hannah Esther Minutillo (Annius), Roland Bracht (Publius)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Gustav Kuhn (direction musicale)
Ursel et Karl-Ernst Herrmann (mise en scène)
Cette Clémence de Titus, c’est le fonds de commerce de Gérard Mortier : depuis sa présentation à la Monnaie il y a plus de vingt ans, elle n’en finit pas de l’accompagner, à Salzbourg ou à Paris, où on l’a encore vue au printemps 2005. Cela dit, voilà la meilleure production mozartienne des époux Herrmann et nous la préférons à leur Così absurde ou à leur Idoménée glacial. On retrouve donc avec plaisir cette impitoyable blancheur, où les cœurs sont mis à nu, où l’hystérique Vitellia apparaît sous un jour nouveau, experte en chantage affectif et sexuel, dominant totalement un Sextus adolescent qui a du mal à se trouver. Tout, d’ailleurs, finit tristement, chacun restant muré dans son irrémédiable solitude. Le spectacle est plastiquement très beau, la direction d’acteurs très fouillée, même si l’on n’échappe pas, comme toujours avec les Herrmann, à une certaine raideur, à une certaine façon d’appuyer les effets – les sous-entendus maçonniques, la lourde pierre carrée qui descend à la fin sur Sextus repentant et pardonné.
Musicalement, autant la reprise de Lucia di Lammermoor réservait des moments d’intense émotion, autant celle-ci nous laisse sur notre faim. Gustav Kuhn mène bien son affaire mais il manque d’élan et ne parvient guère à sortir de sa gangue cet ultime seria mozartien, qu’on a entendu, même sous des baguettes non « baroqueuses », autrement plus théâtral – nous lui préférons de très loin le Sylvain Cambreling des grands jours, tellement plus inventif. Il trouve mieux ses marques dans la seconde partie, amenant enfin l’orchestre à plus de souplesse et à plus de rondeur. Il n’est d’ailleurs pas le seul à s’améliorer après la pause. Anna Caterina Antonacci, si applaudie à Genève, a raté son premier acte : stridente, ne soudant pas ses registres, arrachant ses aigus, rebelle surtout au galbe de la phrase mozartienne, dont elle détache curieusement les syllabes. Il faut attendre le « Non più di fiori » pour qu’elle se reprenne et que nous nous retrouvions chez Mozart. Voilà une chanteuse qui a vraiment des jours avec et des jours sans. Titus blasé et empâté, le toujours raffiné Christoph Prégardien, au demeurant beaucoup plus récitaliste que chanteur d’opéra, est lui aussi en grande difficulté au premier acte : la voix ne tient plus, l’aigu se dérobe et on le sent d’abord attentif à ne pas trébucher. Le second acte ne le montre pas moins prudent, mais plus à l’aise malgré tout, trouvant même quelque vaillance dans « Se all’impero ».
La soirée repose donc sur les autres. La jeune Ekaterina Syurina, Ilia à Salzbourg cet été, promet décidément beaucoup, séduisante Servilia avec sa voix délicieusement fruitée et son style pur. On aime également l’Annius d’Hannah Esther Minutillo, beau mezzo au timbre riche, homogène de ligne, dramatiquement investi. Les seules à ne pas pâlir face au Sextus d’Elina Garanca, grande triomphatrice de la soirée. La voix, la technique, le style, tout y est – le temps et le travail étofferont certaines notes du bas médium ou du grave – et la jeune Lettonne s’impose désormais comme un des Sextus les plus racés du moment, d’une noblesse jamais compassée, sachant pour ses tourments trouver ces couleurs qui, beaucoup plus que les fusées de la virtuosité, révèlent les vraies belcantistes. La clémence de Titus ? Plutôt le sacre de Sextus.
Didier van Moere
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