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Le triomphe de Natalie Dessay

Paris
Opéra Bastille
09/09/2006 -  et 13, 17, 22, 25, 28 septembre, 2, 6, 9, 12, 16 octobre 2006
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor
Natalie Dessay (Lucia), Matthew Polenzani (Edgardo), Ludovic Tézier (Enrico), Salvatore Cordella (Arturo), Kwangchul Youn (Raimondo), Marie-Thérèse Keller (Alisa), Christian Jean (Normanno)
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Evelino Pidò (direction)
Andrei Serban (mise en scène)

En inaugurant sa saison avec Lucia di Lammermoor, Gerard Mortier prouve qu’il n’entend pas limiter, comme on le prétend souvent, le répertoire de l’Opéra aux œuvres qu’il préfère. Et il ne manque pas de choisir, pour cette reprise, une production qui fit couler beaucoup d’encre dès 1995, reprise notamment en 1999 et en 2000 – et qui n’a pas manqué, une fois encore, d’être sifflée. Onze ans après, le spectacle n’a en rien perdu de sa force, voire de sa violence : dans un décor unique – plutôt laid, à la fois donjon, salle de spectacle, salle d’entraînement, asile, presque chambre de torture, Lucia rejoint toutes ces femmes que le siècle a rendues folles pour mieux les briser. Celle qui, au début, a l’air d’une pensionnaire sortie d’une comédie de Musset ou d’un roman de Colette, n’aura guère le loisir de rêver longtemps sur sa balançoire. Ses velléités de révolte, en particulier contre son frère, feront long feu ; il ne lui restera plus, après le meurtre du mari honni, qu’une sorte de retour vers cette enfance des rêves innocents, sous le regard implacable d’une société repue de sa bonne conscience. Ce monde-là n’est fait que pour les gros bras, les uniformes et les soutanes. Andrei Serban restitue bien ce monde à la fois cruel et dérisoire, même si on peut lui préférer la vision plus subtile d’un Graham Vick. Certains moments sont intenses, comme la scène entre le frère et la sœur ou l’apparition des fantômes de Lucia, à la fin, pendant l’air d’Edgardo. Cela dit, certains effets sentent le déjà vu mille fois dans les mises en scène d’aujourd’hui, qu’il s’agisse du décor, avec cordes, échelles et passerelles diverses, ou de la conception d’ensemble, avec ce côté Salpêtrière, où Lucia exhibée peut entre autres tenir compagnie au Hermann de La Dame de pique, cette société militarisée. Sans parler de la sollicitation systématique, parfois acrobatique du corps du chanteur – en l’occurrence plutôt de la chanteuse. La modernité a aussi son conformisme.


Cela dit, quand les chanteurs jouent le jeu comme ici, le spectacle tient parfaitement la route. Natalie Dessay est éblouissante, d’intelligence musicale et d’engagement, aussi comédienne que chanteuse, ce qui lui vaut à la fin un véritable triomphe. La scène de folie devient avec elle un grand moment de musique et de théâtre, autrement dit d’authentique opéra. On passe d’autant plus volontiers sur la modestie du médium, même s’il s’est étoffé, et un suraigu qui n’a plus, loin de là, l’insolence d’antan. Et on s’en veut presque, si l’on est puriste, de regretter que ce chant paraisse si français, monochrome, sans cet art de la coloration essentiel au vrai bel canto, surtout dans le deuxième acte. En d’autres termes, Natalie Dessay est Lucia tout en chantant Lakmé et on préfère l’entendre dans la version française, Mariella Devia ou une Patrizia Ciofi restant plus idiomatiques dans la version italienne. C’est pourquoi Matthew Polenzani séduit tellement : on sent en lui l’école italienne. Timbre ensoleillé, voix homogène avec des aigus lumineux, émission souple et projection aisée, tout le destine à Edgardo. Après l’impressionnante performance de la scène de folie de Lucia, son air laisse une forte impression par la tenue de la ligne, jamais entachée de sanglots, la beauté du phrasé, la variété des couleurs, notamment dans la partie finale, chantée avec toutes les nuances inscrites sur la partition. A côté de ces deux protagonistes, Ludovic Tézier paraît en petite forme, sans mordant, avec des aigus trop bas au premier acte, moins satisfaisant que le noble Raimondo de Kwangchul Youn qui, malgré un certain manque de profondeur dans le grave, confère une vraie présence à un personnage trop souvent confit en componction. Parfois contestable, Evelino Pidò entretient avec Lucia d’évidentes affinités, révélées par la production lyonnaise de 2000. Mais il a, depuis, creusé encore la partition, dont il fait ressortir des subtilités insoupçonnées, très en phase avec l’orchestre ; plus théâtral que naguère, il en fait surtout un vrai drame, en particulier dans le finale du deuxième acte, trouvant des couleurs sombres pour les introductions des premier et dernier tableau, dans l’esprit d’un romantisme noir remontant à Shakespeare et annonçant Verdi. On lui sait gré aussi d’avoir choisi, pour la scène de folie, l’harmonica de verre, plus adapté finalement à la situation.


Cette Lucia, enfin, pose une fois de plus le problème du public parisien, surtout le soir des premières. Ce n’est plus une habitude, c’est une manie : on siffle la production et on applaudit les chanteurs. On la siffle même dès que le rideau se relève et le chœur, pourtant excellent, en fait les frais. Nullement affecté, voire satisfait, Andrei Serban braque sur le public un révolver ramassé sur la scène – tout un symbole !– , tandis que Natalie Dessay lui manifeste sa solidarité avec une certaine ostentation. Fallait-il pour autant qu’elle montre à ce point son irritation, voire son mépris à l’endroit de ceux qui le sifflaient ? On sait bien que l’opéra n’est pas fait pour les tièdes. Il n’y en a pas moins là une fâcheuse perversion des rapports entre la scène et la salle.


La saison, en tout cas, a commencé avec un spectacle de grande qualité.



Didier van Moere

 

 

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