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La Ville morte ressuscite à Genève

Geneva
Grand Théâtre
04/10/2006 -  et les 13, 18, 21, 23 & 25 avril 2006
Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt
Fabrice Dalis (Paul), Anna-Katharina Behnke (Marietta), Johannes Martin Kränzle (Frank), Hanna Schaer (Brigitta), Brett Polegato (Fritz), Jörg Schneider (Victorin), Nicola Hollyman (Juliette), Marianna Vassileva-Chaveeva (Lucienne), Adrian Thompson (le Comte Albert), Vincent Serez (Gaston)
Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève, Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande, Armin Jordan (direction)
Nicolas Brieger (mise en scène)


Fruit du génie précoce d’un prodige d’à peine vingt-trois ans – appelé Wolfgang à cause de Mozart – La Ville morte, créée en 1920, est un des plus beaux avatars du post-wagnérisme. Dans ce drame de l’impossible deuil, tiré de Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach, le héros oscille dangereusement entre le passé et le présent, le rêve et la réalité, incapable de choisir entre une morte idéalisée et une vivante lui ressemblant à la fois trop et trop peu. L’opéra connaît toutefois une fin moins tragique : certes Paul étrangle Marietta, qui s’est emparée de la chevelure de Marie et s’est mise à danser devant lui comme Salomé devant Hérode ; mais il le fait cette fois dans un rêve cathartique.


La musique est opulente, sensuelle, mais jamais lourde, d’un lyrisme incandescent proche à la fois de Strauss et de Puccini. C’est dire à quel point il faut, malgré le gigantisme de l’orchestre, préserver la clarté des lignes. On pouvait faire confiance à Armin Jordan, familier des écritures luxuriantes de cette époque, pour clarifier, alléger, éviter aux chanteurs de forcer leurs moyens, sans jamais oublier les lois du théâtre. Car la tension se maintient d’un bout à l’autre du spectacle, l’Orchestre de la Suisse Romande étant visiblement inspiré par cette musique et par un chef avec lequel il entretient depuis si longtemps une relation privilégiée. Le succès de la soirée genevoise doit également beaucoup aux deux protagonistes, si difficiles à distribuer. On pourrait reprocher à Fabrice Dalis une voix un peu légère, à l’émission un tantinet serrée, là où l’on attendrait plutôt un format plus héroïque. Mais on gagne en souplesse, en nuance, en phrasé, ce qu’on perd en puissance, alors que Korngold, comme souvent Wagner et Strauss, exige à la fois de l’interprète la puissance du Heldentenor et la grâce du mozartien. Chose rare, Anna-Katharina Behnke a aussi bien le physique que la voix du rôle, jouant avec la même aisance de l’un et de l’autre, séductrice impuissante à se faire aimer, pas moins à l’aise dans les douceurs de l’air du premier acte que dans les éclats du dernier, si proches de ceux de la Teinturière straussienne, où le timbre ne se durcit pas trop sous la pression d’une quinte aiguë sans cesse mise à mal. Parmi les autres, on retiendra surtout la Brigitta de Hanna Schaer, toujours en belle forme vocale, le Frank de Johannes Martin Kränzle, à la voix riche en harmoniques, et le Fritz de Brett Polegato, déjà remarqué in loco dans Les Oiseaux de Braunfels.


Plus que la direction d’acteurs, à laquelle il laisse une certaine souplesse, Nicolas Brieger soigne la mise en scène proprement dite, privilégiant la dimension fantasmatique et onirique de l’œuvre. A l’image de sa propre conscience, la maison de Paul est partagée en deux : d’un côté villa Bauhaus, aux lignes droites, avec escaliers et baies vitrées, de l’autre temple des reliques adorées, où s’amoncellent les bobines des films de la star défunte, éternellement projetés, un rideau dissimulant une sorte de magasin aux accessoires fétichistes. C’est là qu’il disparaîtra à la fin, après avoir revêtu la robe de mariée de Marie, liberté évidente prise avec le livret mais parfaitement cohérente dans la perspective proposée. Tout n’est que symbole, projection d’un moi décomposé, en proie à des pulsions érotiques mal refoulées. D’où ces pellicules envahissantes, qui sont comme autant de liens enchaînant le vivant à la morte, dont il s’enveloppe au premier acte pendant qu’il s’adonne au plaisir solitaire. D’où cette scène des comédiens, au deuxième tableau, transformée en orgie avec toute sorte d’accouplements – si explicites, d’ailleurs, qu’ils en perdent leur pouvoir de suggestion. La procession du Saint-Sang apparaît elle-même dans un halo brumeux qui la fait surgir des méandres d’un inconscient que se disputent les images de la faute et du rachat. Bref, une mise en scène inventive et efficace, moins surchargée de signes que dans la production strasbourgeoise reprise au Châtelet en 2001, mais où la tension est moindre que dans le spectacle salzbourgeois de 2004. On se réjouit en tout cas que La Ville morte n’en finisse pas de ressusciter.



Didier van Moere

 

 

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