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Principe de plaisir

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
01/17/2006 -  et 12, 14, 15 (Wien), 16 (Luxembourg) janvier 2006
Johannes Brahms : Symphonie n° 3, opus 90
Igor Stravinsky : L’Oiseau de feu (Suite)
Maurice Ravel : Daphnis et Chloé (Suite n° 2)

Wiener Philharmoniker, Georges Prêtre (direction)


Si leur quatre-vingtième anniversaire a été marqué avec le même éclat, impossible de concevoir deux personnalités plus opposées que celles des deux chefs français régulièrement invités à la tête de la Philharmonie de Vienne, Pierre Boulez (voir ici ou ici) et Georges Prêtre. Ce dernier, s’il est «chef honoraire à vie» des Symphoniker après en avoir été le principal chef invité de 1986 à 1991, n’en entretient pas moins un lien privilégié avec les Philharmoniker, qu’il avait notamment dirigés à Salzbourg en août 2004, alors qu’il venait de fêter ses quatre-vingts ans.


Indépendamment des splendeurs qu’elle promet, la venue de la formation autrichienne tient toujours du rituel festif, avec ses solides habitudes, par exemple mesurer l’évolution de la présence féminine dans ce bastion masculin – sept musiciennes, cette fois-ci, des violons à la percussion, mais qui ne figurent pas dans la liste des membres de l’orchestre, toutefois complétée de façon aussi immuable que pittoresque par celle des «membres à la retraite» – ou bien admirer le bel ordonnancement des sections de cordes, chacune étant munie d’un instrument supplémentaire destiné à parer à tout incident. Alors, même s’il faut conserver à l’esprit que la Philharmonie de Vienne est parfois aussi, après tout, un orchestre comme les autres, avec ses faiblesses et ses mauvais soirs, pourquoi faire la fine bouche? Et le public, qui a bien sûr entièrement rempli le Théâtre des Champs-Elysées, attend donc avec impatience la première des deux visites (seulement) qu’elle effectue cette saison à Paris.


Restait certes l’inconnue Georges Prêtre, capable du meilleur comme du pire avec sa battue éminemment personnelle, intuitive, avec ou sans baguette. Et pourquoi pas le meilleur, après tout, dans ce programme étrenné par trois fois au Musikverein puis à Luxembourg, première étape d’une mini-tournée qui s’achevait dès le lendemain en France?


Il faudra pourtant déchanter dès la Troisième symphonie (1883) de Brahms, où l’irrégularité du tempo – peut-on encore parler de liberté, de flexibilité ou de rubato face à un tel degré d’instabilité, face à de telles alternances de précipitation et d’alanguissement? – sape l’ensemble de la construction, enchaînement anecdotique d’épisodes privés de toute cohérence ou continuité: Allegro con brio à l’héroïsme bien essoufflé, Andante expédié, Andante con moto mélodramatique à souhait, Allegro final aux effets sommaires. Probablement le seul à savoir où il veut aller, le chef français, dans sa manière de fignoler certains détails, donne la fâcheuse sensation de négliger le reste, c’est-à-dire l’essentiel, et les Viennois – c’est humain – ne semblent pas aussi concentrés qu’à l’ordinaire, d’autant qu’ils doivent tenter de décrypter une gestuelle imprévisible. La sonorité globale – massive, compacte, voire confuse et inhabituellement terne – s’en ressent: quoi de plus navrant que de voir cette élite compromise dans un Brahms sentimental comme du mauvais Tchaïkovski et pesant comme du mauvais Elgar?


En complet contraste stylistique, la seconde partie rendait compte de l’émulation entre Russes et Français à la veille de la Première guerre mondiale autour des ballets de Diaghilev et, plus conforme à l’image que l’on se fait généralement (quoiqu’à tort) du répertoire de Prêtre, suscitait de légitimes espoirs. De fait, dans des pages narratives, voire descriptives, où une conception organique s’avère moins indispensable, mais où, en même temps, les exigences de précision, notamment rythmique, sont autrement plus élevées, l’esthétique rhapsodique et le plaisir de l’instant qu’il cultive résolument paraissent un peu moins déplacés.


Magnifiée dans ses aspects décoratifs et dans son premier degré, avec une apothéose finale particulièrement ronflante, la Suite tirée de L’Oiseau de feu (1910) de Stravinsky semble ainsi descendre de Schéhérazade de Rimski-Korsakov: difficile cependant de ne pas admettre que, sans constituer pour autant un contresens, une telle vision de ce jalon essentiel de l’histoire de la musique demeure par trop réductrice. Le chef d’opéra est ici à l’oeuvre, avec un sens dramatique très efficace (Danse infernale) ainsi qu’un talent inné pour faire fonctionner transitions et ruptures, mais il fait un sort jusqu’à la moindre note des mélodies, même les plus dépouillées (hautbois dans la Ronde des princesses, basson dans la Berceuse), tandis que l’orchestre se montre modérément chatoyant.


Les textures moelleuses, voire opulentes et sensuelles, sont réservées à la Seconde Suite de Daphnis et Chloé (1912) de Ravel, «viennoise» dans le mauvais sens du terme, à savoir sucrée et crémeuse, comme si se succédaient Vénus puis Mars des Planètes de Holst. Car cet hédonisme délibérément séducteur ne fait illusion que jusqu’à la Danse générale, où, d’équilibre incertain entre les pupitres en incertitudes de mise en place, l’on peine à reconnaître la Philharmonie de Vienne.


Les spectateurs réservent une ovation au chef et aux musiciens, qui concluent en ayant l’air de s’acquitter comme par obligation de deux brefs bis: la Tritsch-Tratsch Polka (1858) de Johann Strauss, que l’on peut rêver plus légère et transparente, ne sauve pas grand-chose, avant un retour à Brahms, avec une désolante Première Danse hongroise, accumulation complaisante de clins d’œil appuyés.


La Philharmonie de Vienne reviendra le 14 juin au Théâtre des Champs-Elysées pour un concert dédié aux deux grandes célébrations de 2006, Mozart et Chostakovitch, et fort heureusement confié à Bernard Haitink.



Simon Corley

 

 

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