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Intermittences mozartiennes

Strasbourg
Opéra du Rhin
12/06/2005 -  et 6, 9, 11, 13, 15*, 17, 20 décembre à Strasbourg, 6, 8, 10 janvier à Mulhouse (La Filature)
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte
Henriette Bonde-Hansen (Fiordiligi), Deanne Meek (Dorabella), Marie McLaughlin (Despina), Franco Pomponi (Guglielmo), Alfred Boe (Ferrando), Jason Howard (Don Alfonso)
Choeurs de l’Opéra du Rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Dietfried Bernet (direction)
David McVicar (mise en scène), Yannis Thavoris (décors), Tanya McCallin (costumes)

Avant même qu’il soit question de mise en scène, une production de Così fan tutte ne se révèlera viable qu’avec le concours de six chanteurs attrayants mais aussi d’un hautbois, de deux cors et d’une clarinette d’élite… partenaires plus discrets mais fondamentaux dans un ouvrage où énormément d’affects circulent dans les lignes instrumentales. Tout cela bien sûr à charge d’un chef susceptible d’unifier et de dynamiser l’ensemble. Autant d'éléments que l’Opéra du Rhin a rassemblés avec soin, mais qui ne sont pas parvenus ce soir-là à trouver la symbiose attendue.


Pourtant aucun interprète ne présente de véritable carence, et les premiers pupitres de l’Orchestre de Mulhouse, phalange modeste mais en progrès, sont d’un niveau surprenant. Quant au chef, on a pu apprécier son talent sur des scènes de rang international à de multiples reprises. Mais rien n’y fait, ce Così peine à trouver sa luminosité naturelle et commence même particulièrement mal : ouverture malingre et débraillée, premiers ensembles cueillant à froid des voix qui peinent à se caler rythmiquement et à accorder leurs timbres disparates…


De quoi s’interroger sur la validité d’une distribution hétérogène, physiquement crédible mais composée de voix trop larges, sans vraie prédisposition à chanter un tel ouvrage. Certes la notion de spécialisation mozartienne n’est pas d’une légitimité historique bien ancienne (l’ensemble de voix légendaires de l’immédiat après-guerre à Vienne et Salzbourg, et dans une moindre mesure à Aix : ces habitudes de souplesse et d’allègement qui passent volontiers pour une tradition incontournable ne sont pas plus vieilles que cela…) Alors pourquoi pas, après tout, en revenir au pragmatisme des premières reprises modernes de Così (un ouvrage délibérément oublié au 19e siècle pour ne ressusciter qu'au 20e), quand au confiait Mozart aux seules bonnes volontés disponibles : d’immenses chanteurs certes, mais pour la plupart surdimensionnés (des Wotan, des verdiennes égarées, voire au mieux des Octavian et des Sophie du Rosenkavalier…). Mais le problème est qu’ici on n’a pas l’orchestre de l’Opéra de Vienne sous la main, et que le valeureux Dietfried Bernet n’a en aucun cas la poigne d’un Richard Strauss ou d’un Gustav Mahler au pupitre. Alors force est de se contenter d’une mise en place assez bruyante, où l’on gère l’à peu près en temps réel, et où une véritable grâce mozartienne semble durablement vouloir se refuser.


Ceci n’enlève rien, dans l’absolu, aux mérites d’une distribution jeune et intéressante. Jason Howard est un Alfonso de poids, qui parvient à restreindre un volume naturel conséquent, mais en éteignant un timbre que l’on a connu plus riche. La Dorabella de Deanne Meek est dotée de moyens beaucoup trop encombrants pour paraître simplement mutine, et le Ferrando d’Alfred Boe, s’il explose dans un vigoureux Tradito, schernito, ne dispose d’aucune faculté d’allègement pour restituer sa vraie vibration à Un aura amorosa. Seule ici Marie McLaughlin, naguère remarquable Suzanne dans les Noces de Figaro, est une véritable mozartienne, école dont sa Despina garde quelques jolis souvenirs, en dépit d’aigus devenus pénibles. Et puis deux cas d’espèce : le Guglielmo de Franco Pomponi, ample baryton promis à une belle carrière (un chanteur qui monopolise l’attention avec la même aisance que naguère le jeune Thomas Hampson, trop à l’étroit dans des Cosi de répertoire où il n’était alors qu’un parfait inconnu), et l’attachante prise de rôle d’Henriette Bonde-Hansen, Fiordiligi certes à mûrir, qui peine encore à camoufler certaines fragilités mais dessine déjà une Fiordiligi émouvante et musicale, notamment dans un très beau Rondo. C’est d’ailleurs à partir de ce moment clé du second acte que tout à coup la soirée embraye sur une autre dimension, que l’on commence à respirer ensemble, à s’écouter, que les cordes deviennent moins sèches et rigides… belle éclaircie qui continuera heureusement jusqu’au final. Il était grand temps !


La mise en scène de David McVicar et le très beau décor de Yannis Thavoris sont quant à eux défendables de bout en bout, même si, on le répète, à notre avis les vrais clés d’un Così fan tutte ne se trouveront jamais dans une scénographie, aussi pertinente et crédible soit-elle, mais bien dans son contenu strictement musical (l’impression d’inachèvement laissée par la production pourtant déjà légendaire de Patrice Chéreau procède de carences similaires).


En tout cas David McVicar a tenu à s’effacer, et c’est tout à son honneur, derrière un compositeur et un librettiste dont il exalte le génie sans jamais les parasiter. On ne peut qu’admirer une direction d’acteurs naturelle, qui sait exploiter le matériau brut offert par les personnalités de chaque chanteur. Le metteur en scène semble constamment façonner ses interprètes, pour les mener au-delà d’un point d’extraversion qu’ils ne connaissaient sans doute pas eux-mêmes auparavant. Son Così bascule inexorablement vers un état de non-retour passionné, où les couples restent soudés dans leur nouvelle configuration, faisant finalement fi des convenances sociales qui pourtant, vraisemblablement, les broieront. Fin non conforme au livret mais judicieusement ouverte, pour une conception à laquelle on sait gré d’éviter toute lourdeur, magnifiée par un décor mi-réaliste mi-fantastique, où la proximité d’une mer lumineuse semble fonctionner davantage comme un facteur d’enfermement, au bord d’un précipice, que comme une possibilité de s’échapper vers d’autres horizons. La transposition à ce qui ressemble à un 19e siècle tardif (les uniformes ne seraient pas déplacés dans Carmen) gêne peu, et s'accorde même mieux que des costumes 18e à une direction d'acteurs qui abolit les hiérarchies sociales (Despina se permet de gifler Dorabella) voire toute réserve aristocratique. A défaut d'un accomplissement musical, au moins une soirée sincère, mise en scène par un maître d'oeuvre dont la sensibilité exacerbée nous touche et parfois nous bouleverse.



Laurent Barthel

 

 

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