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Des oranges pour Noël

Paris
Opéra Bastille
12/01/2005 -  et 5, 11, 15, 17, 19, 21, 23, 26 et 29 décembre 2005
Serge Prokofiev : L’Amour des trois oranges, opus 33

Philippe Rouillon (Le Roi de Trèfle), Charles Workman (Le Prince), Hannah Esther Minutillo (La Princesse Clarice), Guillaume Antoine (Léandre), Barry Banks (Trouffaldino), Jean-Luc Ballestra (Pantalon), José Van Dam*/Alain Vernhes (Tchélio), Béatrice Uria-Monzon (Fata Morgana), Natacha Constantin (Linette), Letitia Singleton (Nicolette), Aleksandra Zamojska (Ninette), Victor von Halem (La cuisinière), Jean-Sébastien Bou (Farfarello), Lucia Cirillo (Sméraldine), David Bizic (Le héraut), Nicolas Marie (Le maître de cérémonies)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Peter Burian (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Sylvain Cambreling (direction musicale)
Gilbert Deflo (mise en scène), William Orlandi (décors et costumes), Marta Ferri (chorégraphie), Joël Hourbeigt (lumières)


Après La Chauve-souris iconoclaste qui avait marqué son départ de Salzbourg à l’été 2001, qu’on ne compte pas sur Gérard Mortier pour agrémenter Noël et le Nouvel An avec une valeur sûre d’Offenbach ou de Johann Strauss! Mais le directeur de l’Opéra de Paris ne renonce pas pour autant à offrir un divertissement. Et, après tout, l’orange, lorsqu’elle était encore rare et précieuse sous nos latitudes, n’était-elle pas associée à la période des fêtes de fin d’année? L’Opéra Bastille accueille donc pour dix soirées et matinées une nouvelle production de L’Amour des trois oranges de Prokofiev, prolongeant, avec cet opéra en un prologue et quatre actes créé en 1921, une saison qui, après Cardillac (voir ici) puis Le Nez (voir ici), est décidément placée sous le signe des années 1920.


On le sait au moins depuis Molière, «c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens». Tel est non seulement l’un des ressorts de l’intrigue, puisque seul le rire peut sauver le prince de sa maladie hypocondriaque, mais aussi le défi auquel est confronté le metteur en scène, Gilbert Deflo: dérider les spectateurs – comme s’y emploie notamment une musique brillante et souple, qui suit fidèlement le texte tout en parodiant le grand opéra (wagnérien) – et conserver à l’action sa part de féerie initiatique qui évoque souvent La Flûte enchantée.


Les interventions régulières du chœur, éclaté en petits groupes (les Ridicules, les Tragiques, les Comiques, …) qui commentent le déroulement des événements, imposent une construction en abyme, au travers d’un classique procédé de «théâtre dans le théâtre». Le plateau est ainsi dominé par une galerie semi circulaire où six figurants éclairagistes et leurs projecteurs sont installés durant toute la représentation, tandis qu’un rideau de scène figure l’Opéra Bastille. De même, si Deflo ne se prive pas de déployer des effets spéciaux et d’exploiter les ressources techniques de la salle, c’est sans négliger la poésie et toujours en cultivant une certaine distance humoristique: l’artifice est évident, mais on feint d’y croire, à l’image de ce Tchélio en Mandrake sur le retour, pas vraiment convaincu lui-même de l’efficacité de ses pouvoirs de magicien.


C’est un joyeux mélange de styles qui prévaut: tréteaux, masques, archétypes, attitudes et bastonnades de la commedia dell’arte, bien sûr, pour un livret (en français) adapté d’une pièce (1761) du Vénitien Carlo Gozzi, mais également le cirque – avec sa piste circulaire, ses clowns, ses jongleurs et son cracheur de feu – ou bien le cinéma, les ombres chinoises et les lumières du music-hall (rampe d’ampoules rondes tout autour du cadre de scène, faisceaux qui suivent les mouvements des personnages), réglées par Joël Hourbeigt. Mais cette apparente hétérogénéité est en réalité le fruit d’une extravagance très raisonnée, formant un tout parfaitement lisible et cohérent, que traduisent à la fois un travail d’équipe – à cette fin, Deflo s’est à nouveau associé à William Orlandi, pour les décors et costumes, mais la chorégraphe Marta Ferri s’intègre sans peine à leur vision – et une troupe de chanteurs très unie.


De ce point de vue, les compositions de Charles Workman et de Barry Banks, respectivement en Prince et en Trouffaldino, sont saisissantes: le ténor lyrique comme le ténor bouffe chantent de façon très satisfaisante, chacun dans son registre, même si l’on peut déplorer que l’accent du second soit trop peu idiomatique, et ils se sont en outre tous deux remarquablement investis dans le difficile travail d’acteur qui leur est demandé: mime façon Pierrot pour l’un, gestuelle d’Arlequin pour l’autre.


Aux côtés d’un prestigieux duo de guest stars – José Van Dam en Tchélio et Béatrice Uria-Monzon en Fata Morgana – les autres rôles tirent tous leur épingle du jeu: le Roi fantoche de Philippe Rouillon, un couple de «méchants» sorti tout droit d’un film muet – Hannah Esther Minutillo (Clarice), en femme fatale… verte de la tête aux pieds, et Guillaume Antoine en Léandre à la Clark Gable –, la Sméraldine naturelle de Lucia Cirillo, le Farfarello agile de Jean-Sébastien Bou et des princesses acidulées comme il se doit, à commencer par la Ninette délicieusement fraîche d’Aleksandra Zamojska. Juché sur une immense robe (orange, forcément) couverte d’un tablier maculé de sang, Victor von Halem, en cuisinière (enrouée) veillant sur les fruits comme Fafner sur son trésor, provoque l’hilarité générale, sans toutefois oublier de soigner ses graves.


Energique et scintillante, servie par un orchestre et des chœurs qui s’amusent visiblement, la direction de Sylvain Cambreling est à l’unisson de ce spectacle impeccablement pétillant, à l’issue duquel on s’attendrait presque à voir le public, comme à la fin de La Vie parisienne ou de La Veuve joyeuse, frapper des mains pour accompagner la fameuse Marche qui, déjà entendue précédemment à plusieurs reprises, conclut le dernier acte.



Simon Corley

 

 

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