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Pied de nez ! Paris Opéra Bastille 11/14/2005 - et 15, 17, 18, 19 novembre 2005 Dimitri Chostakovitch : Le Nez Solistes, Chœur et Orchestre du Théâtre Mariinski, Valery Gergiev (direction)
Yuri Alexandrov (mise en scène)
Même si des artistes étaient déjà emprisonnés, les années 20 dans la jeune URSS furent une période d’explosion artistique sans pareil, du moins pour ceux qui prenaient à la lettre le principe révolutionnaire de la table rase. A côté du premier Chostakovitch dans la musique, on rappellera les noms du cinéaste Eisenstein, du peintre Malevitch, du metteur en scène Meyerhold, du photographe Rodchenko (adepte de la contre-plongée, une idée reprise dans le décor de cette production).
A 21 ans, Dimitri Chostakovitch fait exploser les codes du théâtre lyrique : histoire surréaliste puisée chez Gogol (un nez quitte son propriétaire et se promène en uniforme de Conseiller d’Etat), narration heurtée faite de courts-circuits incessants, abolition de la hiérarchie des personnages par une profusion de rôles (plus de 70 !), tessitures des chanteurs sciemment maltraitées, absence d’airs et de leitmotive, orchestre éclaté où prédominent les percussions (qui s’arrogent un interlude à elles seules), la subversion est à l’œuvre ! Ecrit en 1927 et créé en 1930 à Leningrad, Le Nez disparaîtra du répertoire, comme l’opus lyrique suivant du compositeur, Lady Macbeth, lors de la terreur stalinienne.
Soixante-quinze ans après sa création, le premier opéra de Chostakovitch n’a rien perdu de sa force d’impact, c’est, pour prendre un raccourci, un peu Les Soldats de Zimmermann en version opéra comique ! Le foisonnement d’idées musicales fait que l’on ne s’ennuie pas une seconde au cours de ces deux heures de musique, c’est plutôt la submersion qui menace ! La mise en scène de Yuri Alexandrov («metteur en scène permanent» au Mariinski) exploite à fond la dimension explosive et grotesque de cet «anti-opéra». Le décor est constitué d’immeubles vus d’en haut, des projections ont lieu sur le mur du fond, qui se lève par moment pour découvrir un énorme tube métallique, évocation du «constructivisme» de l’époque. Au-delà du malheureux Platon Kouzmich Kovalev à la recherche de son appendice nasal, c’est la foule qui constitue ici le personnage principal.
Par delà la satisfaction de voir cette œuvre rare (elle fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris) dans une réalisation exemplaire, on peut tout de même faire une remarque plus générale et s’étonner qu’une institution disposant d’un orchestre permanent en invite un autre ! C’est plutôt la fonction du Théâtre du Châtelet ou de celui des Champs-Elysées qui, eux, ne disposent pas de formations à demeure. D’autant que si l’Orchestre du Théâtre Mariinski est insurpassable dans le répertoire russe et l’un des meilleurs dans le répertoire international, on peut déplorer dans Le Nez, virtuose et versatile, un manque d’exactitude si on le compare, par exemple, à l’enregistrement qu’en a réalisé Gennady Rozhdestvensky avec l’Orchestre du Théâtre musical de chambre de Moscou (lire ici). L’orchestre de l’Opéra aurait certainement pu faire aussi bien ou même mieux pense-t-on, la «valeur ajoutée» du Mariinski n’apparaît ainsi pas évidente. Quoi qu’il en soit, on ne se privera pas d’un spectacle aussi original !
Philippe Herlin
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