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La carpe et le lapin Paris Cité de la musique 11/05/2005 - Béla Bartok : Quatuor n° 3, sz. 85
Pascal Dusapin : Quatuor n° 5 (création française)
Alexandre Borodine : Quatuor n° 2 (*)
Quatuor Arditti: Irvine Arditti, Ashot Sarkissjan (violon), Ralf Ehlers (alto), Rohan de Saram (violoncelle) – Quatuor Prazak (*): Vaclav Remes, Vlastimil Holek (violon), Josef Kluson (alto), Michal Kanka (violoncelle)
La conclusion de la première journée du week-end marathon placé au centre de la deuxième biennale «Quatuors à cordes» qui se tient à la Cité de la musique associait deux des formations vedettes de ce festival, les Arditti et les Prazak, mais indépendamment de leurs différences radicales de style, la succession du lapin (britannique) et de la carpe (tchèque) tenait davantage du bricolage que d’une programmation cohérente. Cela étant, la perspective de retrouver ces deux ensembles d’excellence dans leur répertoire d’élection n’en demeurait pas moins stimulante, le public ayant d’ailleurs largement garni les rangs de la Salle des concerts.
Abordant d’abord le Troisième quatuor (1927) de Bartok, les Arditti privilégient, dans une mise en place impeccable, une approche objective et abstraite, sans pour autant négliger le rugueux ou le tranchant. L’attention se portait toutefois principalement sur la première française du Cinquième quatuor (2005) de Dusapin. Confronté à Beethoven le matin, le compositeur français était cette fois-ci aux côtés de celui qui est souvent considéré comme son véritable continuateur au XXe siècle, mais ce tout récent quatuor, créé, comme le Troisième douze ans auparavant, par les Arditti, possède suffisamment de qualités pour ne pas souffrir d’un rapprochement aussi intimidant.
D’un seul tenant et d’une durée de dix-sept minutes, l’œuvre, si l’on en croit la présentation qu’en fait Dusapin dans les notes de programme, trouve sa source chez un écrivain cher à son cœur, Samuel Beckett, et plus particulièrement dans Mercier et Camier. Plus évidente que dans le Quatrième quatuor, cette inspiration littéraire trouve sa traduction dans l’économie de moyens ainsi que dans l’alternance de statisme et d’agitation qui caractérisent ce Cinquième quatuor. Frappant par sa clarté, sa liberté et sa maîtrise, la partition sollicite fortement le premier violon, souvent opposé aux trois autres instruments, et ce dès une entrée en matière véritablement magique, mélopée dans le suraigu se détachant sur un arrière-plan de pizzicati.
Il est d’autant moins nécessaire de revenir sur l’incongruité consistant à faire venir les Prazak en seconde partie que ce complément était particulièrement luxueux, tant le Second quatuor (1881) de Borodine, dont le mouvement final en forme de question et réponse rappelle curieusement celui du Seizième quatuor de Beethoven, entendu dans l’après-midi, leur va comme un gant, féerique et désarmant de charme à force de fraîcheur, de grâce, de délicatesse et même de naïveté. Trop vite passée, cette heure de musique s’achève sur un bref bis, l’Allegretto alla zingarese du Trente-quatrième quatuor de Haydn, Quatrième de l’opus 20 (1772): quoi de plus de juste en effet que de quitter provisoirement cette biennale en compagnie du «père du quatuor»?
Simon Corley
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