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Bach en prière

Baden-Baden
Festspielhaus
10/07/2005 -  
Georg Philip Telemann : Sonate pour cordes TWV 43:Es1, Concerto pour hautbois TWV 51:d2, Sinfonia melodica TWV 50:2
Jean Sébastien Bach : Cantates BWV 56 "Ich will den Kreuzstab gerne tragen" et BWV 82 "Ich habe genug"

Thomas Quasthoff (baryton), Albrecht Mayer (hautbois), Berliner Barock Solisten, Rainer Kussmaul (direction)


Salle comble à Baden-Baden, pour communier autour de Thomas Quasthoff, qui avait déjà laissé ici en 2003 le souvenir d’un étreignant Winterreise. Le Festspielhaus est aussi grand que l’Opéra Bastille mais l’ambiance y est heureusement très différente : rien à voir avec l’angoissante sensation de vide acoustique suscitée par le grand frigo parisien. Ce soir-là, tout le monde aura pu se recueillir quelle que soit sa place, même lointaine, autour d’un artiste simple à l’humanité fragile, qui continue à assumer son lourd handicap physique avec l’abnégation et le naturel désarmants que l’on sait.


Récital vocal accompagné par un (petit) orchestre, ce qui implique l’habituel recours à des pièces instrumentales pour « meubler » avant l’arrivée de la vraie star de la soirée. Une telle pratique est courante, mais cette fois, compte tenu de la personnalité exceptionnelle attendue, elle suscite surtout l’impatience. Et pourtant les Berliner Barock Solisten font de louables d’efforts pour rendre les musiques de Telemann vives, colorées et attrayantes, sur des instruments modernes utilisés avec un goût remarquable : sonorités allégées, phrasés subtils, et pour ce qui est du sensationnel soliste Albrecht Mayer une ravissante et ductile ornementation dans le Concerto pour hautbois.


Avec la mise en place du pupitre surélevé et de la petite estrade sur laquelle va prendre place Thomas Quasthoff la tension monte perceptiblement. Et l’entrée du chanteur, même pour les habitués, reste saisissante : le handicap est criant, et pourtant l’optimisme irradiant du personnage toujours aussi rassérénant... Et puis, enfin, c’est la musique de Bach qui rentre en scène, et n’en déplaise aux admirateurs (fort respectables) de Telemann, tout ce qui a précédé se trouve renvoyé à son estimable virtuosité décorative. La hauteur de vue de la musique qui fait alors irruption, en particulier dans ces deux Cantates BWV 56 et BWV 82, qui comptent parmi les œuvres de Bach les plus piétistes et les plus imprégnées d’un sentiment d’omniprésence d’une mort consolatrice, relativise d’assez loin toutes les notions d’authenticité d’interprétation «historique». Si les effectifs orchestraux sont raisonnablement réduits et les phrasés évitent toute aberration musicologique, tout le monde ici s’investit d’abord dans une expressivité voulue la plus universelle et la moins codée possible. C’est certainement dans les ariosi de la BWV 56, et dans la sublime berceuse « Schlummert ein » de la Cantate BWV 82 que cette indifférence polie à l’égard des conventions d’interprétation désormais imposées par trente ans de travail sur la reconstitution d’une rhétorique baroque est la plus patente : vision d’une prégnance toute schubertienne, encore accentuée par un texte où il n’est question à ces moments-là que de voyage et de passage. Mais comment oser s’en plaindre, tant l’approche est sincère, dépourvue d’apprêt, et de ce fait profondément bouleversante. Et puis la voix de Thomas Quasthoff, parfois inconstante, est ce soir-là très vite en bonne forme, après des débuts un peu décolorés que l’on oublie facilement, s’affirmant ensuite longuement dans sa plénitude (un aigu remarquablement facile et clair, moins nasal que d’habitude chez les barytons, et des graves de vrai baryton-basse, toujours aussi prodigieux).


Beaucoup mieux qu’un simple concert : de mémorables instants de méditation, d’un naturel sans complaisance. Et aussi une merveilleuse leçon de vie…



Laurent Barthel

 

 

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