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Venusberg classé X Geneva Grand théâtre 09/23/2005 - et 26, 29 septembre, 2, 5, 8, 11 octobre 2005 Richard Wagner : Tannhäuser Kristinn Sigmundsson (le Landgrave), Stephen Gould (Tannhäuser), Dietrich Henschel (Wolfram), John MacMaster (Walter), Alexandre Vassiliev (Biterolf), Ulfried Haselsteiner (Heinrich), Scott Wilde (Reinmar), Nina Stemme (Elisabeth), Jeanne-Michèle Charbonnet (Vénus), Katia Velletaz (Un pâtre)
Orchestre de la Suisse romande, Choeur du Grand theatre, Choeur Orpheus de Sofia, Ulf Schirmer (direction)
Olivier Py (mise en scène)
On ne parlait que de ça. Ça, c’est le sexe en érection de HPG, star du porno qu’Olivier Py a invité dans son Venusberg pour mimer l’enlèvement d’Europe et, naturellement, son accouplement avec Zeus. La direction du Grand Théâtre avait même pris soin de publier un communiqué destiné aux bonnes âmes genevoises, qui ont finalement beaucoup applaudi le spectacle lors de cette soirée huppée d’ouverture de saison. A vrai dire, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, surtout quand on a vu sur la même scène la beaucoup plus iconoclaste Damnation de Faust du même Olivier Py ; on verrait plutôt là une bonne opération publicitaire. Ce spectacle de virilité taurine dure en effet fort peu de temps et ce n’est pas ce que l’on retiendra d’abord - après tout, on en a vu d’autres, même à l’opéra - de la production du jeune et talentueux metteur en scène. La Bacchanale est d’ailleurs très stylisée, comme le décor, qui ressemble fort à celui d’un bordel du dix-neuvième, où dominent le noir et le rouge, que l’on reverra, ainsi que les très lascives Bacchantes, chaque fois que Vénus sera évoquée. La scénographie porte bien la marque d’Olivier Py et de Pierre-André Weitz, qui finissent par se répéter un peu, avec cette obscurité quasi permanente sur laquelle tranchent des néons d’une blancheur aveuglante, qui dessinent des objets symboliques comme la roue, pour Vénus, ou la croix, pour la rédemption. Mais ces symboles sont ambigus : la roue est en forme d’étoile, ce qui en dit long sur l’inconscient d’un Wolfram basculant, à la fin, du côté de la déesse, torse nu du début à la fin sous son manteau, chair ravagée d’un désir inconscient qui échoue à se sublimer ; la croix, signe du pardon consenti, a d’abord été une église, signe du pardon refusé par un pape enfariné et dérisoire, tenant à la fois de la momie et de la marionnette – on croirait presque celle des Guignols de l’info… Comme l’a montré l’an dernier son Tristan genevois, Olivier Py est finalement beaucoup plus classique qu’on ne le dit, prenant son parti des grands ensembles du deuxième acte, même s’il ouvre aussi, on le voit, la porte à des interprétations moins orthodoxes. Elisabeth cesse de son côté d’être l’héroïne désincarnée que nous a léguée la tradition : au début du deuxième acte, son austère robe grise en dissimule une autre, du même rouge que celle de Vénus, avant qu’elle ne se métamorphose, quand elle empêche le lynchage de Tannhäuser, en une sorte de Jeanne d’Arc mâtinée de Walkyrie accédant à la pitié, prête à revêtir, au troisième acte, le blanc immaculé de la sainte. La sainte est donc le double de Vénus : toutes deux enlèvent à un moment leur perruque pour se dépouiller d’une féminité devenue inutile quand elles passent de l’autre côté du miroir, la première parce que Tannhäuser l’a quittée, la seconde parce qu’elle a renoncé au monde pour sauver celui qu’elle aime et que l’Eglise a maudit. Autant dire qu’Olivier Py a bien compris les jeux d’opposition et de miroir qui constituent la substance même de l’opéra wagnérien, qu’il s’agisse des rapports de fascination réciproque entre Eros et Thanatos, présent dès le Vénusberg, ou de l’irréductible fossé qui sépare le héros d’un monde verrouillé par l’alliance de la soutane et de l’uniforme – Walther a des airs de prédicant puritain, Biterolf est un militaire bardé de médailles. Olivier Py, on le sait, a ses fantasmes, qu’il assume ou qu’il affiche. Ne sont-ce pas ici, ceux de Wagner lui-même ?
La réalisation musicale n’est pas loin d’offrir ce qu’on peut attendre de mieux aujourd’hui en la matière. Moins sec qu’à son habitude, bien qu’il manque toujours de sensualité et de lyrisme, Ulf Schirmer parvient à donner une cohérence à une partition partagée entre une modernité tristanienne et les souvenirs du grand opéra de l’époque, inscrivant parfaitement la pompe de l’entrée des invités, au deuxième acte, dans la continuité du drame. La direction est précise, analytique, d’une clarté parfois chambriste, avec un équilibre correct – mais pas encore idéal - entre les cuivres et les cordes. Dans le rôle titre, qui pousse, au fur et à mesure de la représentation, les ténors les plus aguerris dans leurs derniers retranchements, Stephen Gould se montre à la fois prudent et fiévreux, très précis dans l’Hymne à Vénus où la plupart de ses confrères savonnent allègrement les notes, pas trop fatigué par les aigus tendus du récit du retour de Rome, Tannhäuser plus blessé qu’héroïque, perpétuellement écartelé, en quête d’une impossible paix. Dietrich Henschel, qui n’a pas une grande voix et le sait, ne cherche pas à tricher, mais convoque toutes les ressources de son art de Liedersänger accompli pour camper un Wolfram subtilement introverti et rêveur, magnifique de raffinement sans affèterie dans la Romance à l’étoile, ne pouvant toutefois se défaire totalement de ces inflexions empruntées à son maître Fischer-Dieskau. La voix aux harmoniques profonds, au vibrato capiteux de Jeanne-Michèle Charbonnet convient bien à Vénus, où elle est plus à l’aise qu’en Isolde parce qu’il y a moins de notes aiguës, qui, du fait d’une technique assez particulière, ont toujours chez elle tendance à se dérober – on se surprend à penser, révérence parler, que les jambes sont plus souples que l’émission. Mais tous - on n’oubliera pas, notamment, le Landgrave stylé, à la fois puissant et attendri, de Kristinn Sigmundsson - doivent s’incliner devant la superbe Elisabeth de Nina Stemme, dont l’Isolde vient d’enchanter Bayreuth. Certainement pas une nouvelle Flagstad, comme on l’a écrit ou dit, plutôt proche d’une Dernesch ou d’une Ligendza du temps de leur splendeur. Superbe par l’homogénéité de la voix, pleine d’une lumière pure mais jamais froide, aux reflets moirés, par la noblesse du phrasé, l’intensité vibrante de l’interprétation, femme souffrante plus qu’ange éthéré, une des plus belles Elisabeth de l’heure. Très beau chœur enfin, sans qui il n’est pas de Tannhäuser digne de ce nom.
A noter que, pour accompagner la production, le musée Rath propose, jusqu’au 29 janvier, une passionnante exposition sur Richard Wagner, visions d’artistes, d’Auguste Renoir à Anselm Kiefer.
Didier van Moere
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