Back
Crève-cœur Paris Théâtre des Champs-Elysées 09/23/2005 - Franz Schubert : Symphonie n° 3, D. 200
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 23, K. 488
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 5, opus 67
Grigory Sokolov (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Myung-Whun Chung (direction)
Où va l’Orchestre philharmonique de Radio France? Poser la question est le meilleur service que ses plus fidèles partisans peuvent rendre à une phalange qui, sous l’ère Janowski (1984-2000) et aux débuts du mandat subséquent de Chung, pouvait prétendre sans peine tenir la dragée haute aux autres formations parisiennes. En effet, après une année marquée par une décevante intégrale Mahler, la cote d’alerte a été atteinte au cours du premier concert qu’il donnait cette saison avec son directeur musical, dans un programme on ne peut plus traditionnel et viennois, mais pas moins périlleux pour autant.
Dès la Troisième symphonie (1815) de Schubert, la médiocre qualité de la finition instrumentale ne laisse pas d’étonner, même si quelques individualités, notamment le hautbois d’Hélène Devilleneuve et le basson – ou plutôt le fagott – de Jean-François Duquesnoy, parviennent à tirer leur épingle du jeu. Dommage, car Chung, même s’il cède ici ou là à son péché mignon en s’attardant sur tel ou tel passage, s’attache à varier les climats et les couleurs de cette partition de jeunesse, dont il fait ressortir, dans une lecture nullement univoque, les ombres et demi-teintes, malgré des Allegros rebondissants et incisifs ou un Menuet robuste et carré.
Y a-t-il une vie après Ciccolini? Le maestro octogénaire, quelques jours plus tôt dans ce même Théâtre des Champs-Elysées, avait porté le Vingt-troisième concerto (1786) de Mozart sur les cimes (voir ici) et c’est à Grigory Sokolov qu’il revenait ici de se mesurer à cette prestation. Du point de vue de la technique et de la clarté d’articulation, on reste indéniablement sur des sommets. Mais pour le reste, le miracle ne se renouvelle sans doute pas complètement: certes, le jeu du Russe est, on le sait, littéralement inouï, mais on peut quelquefois peiner à le suivre, tant son originalité évoque la personnalité d’un Glenn Gould. Assurant discrètement le continuo durant les tutti, il cisèle chaque note, chaque attaque, chaque sonorité, toute tentation maniériste étant cependant contredite par la fermeté de la pensée. Plus terrestre que Ciccolini, notamment dans l’Allegro assai final parfois dur et brutal, osant un tempo très retenu dans un Adagio qui crée une atmosphère étrangement raréfiée, cette approche très travaillée réserve bon nombre de trouvailles et de surprises, qui désarçonnent hélas fréquemment un accompagnement allégé (vingt-six cordes) et, surtout, dans un très mauvais jour.
Au fil de neuf rappels et toujours sans la moindre esquisse de sourire, le pianiste, que l’on retrouvera sur la même scène le 26 novembre prochain pour un récital consacré à Schubert et à Schumann, offre deux bis de Chopin, tous deux en la mineur, et tous deux d’une infinie délicatesse: une brève Valse posthume (1843), puis la Deuxième des Mazurkas de l’opus 68 (1827).
Avec la Cinquième symphonie (1808) de Beethoven, la seconde partie traduit un certain ressaisissement des musiciens, même si la cohésion des cordes – il est vrai en nombre (soixante) – laisse par exemple encore à désirer. Chung, quant à lui, met le paquet, tant dans l’effectif (bois et cors doublés) que dans l’interprétation, martiale et emphatique, massive et spectaculaire. Interrompu par une tendance à fignoler la réalisation de certaines pages, par trop décoratives, l’élan retombe trop souvent. Où est donc passé ce Beethoven vivant et dramatique, idéalement phrasé, jamais routinier, dont les mêmes artistes nous avaient gratifié à Pleyel en mars 2001 (voir ici)?
Triomphalement accueillie par une salle comble, sensible au charisme de Chung, cette soirée, contrairement à ce qui était initialement prévu, n’a pas été diffusée en direct sur France Musique et sur les radios allemandes. On ne peut que s’en réjouir, tant le désarroi est grand face à une telle déconfiture.
Au moment du vingt-cinquième anniversaire de l’orchestre, en septembre 2001, Chung déclarait pourtant: «Ils ont atteint une véritable maturité et un niveau international. Maintenant, il faut aller encore plus loin.» C’est pourtant le sentiment d’un recul qui prévaut désormais. Marek Janowski ajoutait, toujours à cette occasion: «Si j’ai refusé de le diriger encore, c’est qu’il faut tourner la page. Mais ils savent qu’en cas de nécessité, je serai toujours là.» On n’en est probablement pas encore arrivé là, ne serait-ce que parce que le chef allemand a bien d’autres occupations (directeur musical de la Philharmonie de Monte-Carlo, du RSO-Berlin et de l’Orchestre de la Suisse romande). Mais que les propos du chef allemand résonnent aujourd’hui de façon curieusement prémonitoire…
Simon Corley
|