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Amour et théâtre Paris Palais Garnier 09/12/2005 - et 15, 18, 21, 26, 29 septembre, 5, 7, 10, 13, 15 octobre 2005 Wolfgang Amadeus Mozart : Cosi fan tutte Erin Wall (Fiordiligi), Elina Garanca (Dorabella), Stéphane Degout (Guglielmo), Shawn Mathey (Ferrando), Barbara Bonney (Despina), Ruggero Raimondi (Don Alfonso)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, Gustav Kuhn (direction)
Patrice Chéreau (mise en scène)
Si l’on voulait expliciter l’art de Patrice Chéreau, ou du moins, sans avoir la prétention de l’embrasser entièrement, de mettre en lumière un point de vue général, on pourrait dire qu’il se caractérise à la fois par un respect scrupuleux du livret (texte et didascalies) qui amène chaque sentiment, chaque inflexion à s’exprimer dans les corps des acteurs-chanteurs, avec fluidité et naturel, avec sincérité (les chanteurs choient souvent sur le sol !), mais aussi, dans le même temps, par une mise en perspective, un coup d’œil extérieur au déroulement strict du livret mais qui l’éclaire (intervention de machinistes, personnages hors action qui interviennent dans le champ visuel, attitudes légèrement décalées de chanteurs, décor désorientant, etc). A la fois complètement dans le théâtre et en dehors, sans rupture, sans effet facile, mais dans une tension permanente autour de cette frontière. Des machinistes qui actionnent le dragon de Siegfried (le Ring du centenaire de Bayreuth vient de ressortir en DVD, courrez l’acheter) aux accessoiristes qui amènent et rangent les différents objets de ce Cosi en temps réel court une même interrogation sur la machine-théâtre, des poses non explicitement prévues par le livret de Hagen dans le Crépuscule des dieux aux passages de Despina ou de Ferrando sur le devant de la scène face à une action dont ils sont absents se prolonge le même approfondissement de la psychologie des personnages, du barrage de L’Or du Rhin aux coulisses d’un théâtre pour ce Cosi (décors de Richard Peduzzi) s’établit un même regard qui se décentre pour mieux sonder le cœur du drame.
Et sans doute cet art théâtral trouve-t-il ici une forme d’accomplissement, de mise en abîme, car Cosi fan tutte a déjà un metteur en scène : Don Alfonso. C’est du théâtre dans le théâtre (et on attend Chéreau dans Capriccio...). Il ne faut donc rien brusquer (la mise en scène de Patrice Chéreau est «sage» et a donc pu en décevoir certains) mais tout révéler de la «mise en scène» du vieux napolitain (les deux fiancés changent d’habits parmi le public qui devient les coulisses des coulisses que l’on voit sur scène, les accessoiristes obéissent plus à Don Alfonso qu’à Patrice Chéreau qui s’efface ainsi discrètement). Avec Patrice Chéreau, Cosi fan tutte n’est plus seulement une réflexion sur l’amour mais aussi, ce que l’on oublie souvent, une réflexion sur le théâtre.
Créé en juillet dernier lors du Festival d’Aix, les heures de répétitions et de représentations portent leurs fruits et la qualité du travail scénique est au rendez vous. Vocalement le bilan est plus mitigé : Ruggero Raimondi incarne avec excellence le personnage faustien de Don Alfonso, Stéphane Degout campe un des meilleurs Guglielmo que l’on puisse entendre (timbre, vaillance, agilité, tout est quasi parfait), Elina Garanca s’impose sans peine en Dorabella, Shaw Mathey est correct dans Ferrando, mais Erin Wall, avec son timbre sans harmoniques et sa voix dénuée de graves, n’a pas le niveau d’une Fiordiligi, tandis que Barbara Bonney est en total contre emploi dans Despina, incapable de jouer la comédie en médecin ou en notaire. Heureusement on a évité le pire : Daniel Harding, brutal, égocentrique, accumulant les effets, sans conception d’ensemble, une sorte de Nigel Kennedy de la direction d’orchestre, qui a déclaré forfait en cours de répétition, certainement rejeté par l’orchestre (bravo à lui !) et remplacé par Gustav Kuhn, à la lecture subtile et énergique à la fois, ce qu’il faut dans Cosi. Pour la mise en scène, un spectacle essentiel.
Philippe Herlin
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