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Question de tempérament

Montpellier
Corum
07/28/2005 -  


12 heures 30
Franz Schubert: Sonate «Arpeggione», D. 821
Robert Schumann: Adagio et Allegro, opus 70
Johannes Brahms: Sonate pour alto et piano n° 2, opus 120 n° 2

Lise Berthaud (alto), François Pinel (piano)


18 heures
Ludwig van Beethoven: Sonate pour violon et piano n° 8, opus 30 n° 3
John Cage: Variations I
George Enesco: Sonate pour violon et piano n° 3 «Dans le caractère populaire roumain», opus 25

Patricia Kopatchinskaya (violon), Mihaela Ursuleasa (piano)


Une fois le Corum atteint, si l’on ose dire, aucune raison d’en sortir pour affronter à nouveau la chaleur, car le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon réserve au mélomane la possibilité d’y passer une journée intégralement dévolue à sa passion: de concerts en projections, c’est en effet l’occasion pour lui de profiter, de midi à minuit, ou presque, d’une programmation foisonnante, même en «se contentant» des seules manifestations gratuites, comme le fera la présente chronique. Et si la soirée devait prendre la forme d’un spectacle (payant) en deux temps, comprenant la venue d’un artiste de tempérament, Fazil Say, les trois moments qui l’ont précédé n’en auront pas moins amplement permis à d’autres tempéraments, bien sûr fort différents, de s’exprimer.


1. Tempérament apollinien


L’heure de musique du déjeuner à la Salle Pasteur est consacrée à des «jeunes artistes» dont la carrière, pour certains d’entre eux – le Quatuor Aviv, Jean-Frédéric Neuburger – est cependant déjà bien lancée. Agée de vingt-trois ans, Lise Berthaud ne le leur cède que peu de ce point de vue, car le nom de cette élève de Pierre-Henri Xuereb et Gérard Caussé apparaît de plus en plus souvent en bonne place sur les scènes nationales. Et ce n’est que justice au vu d’un récital curieusement composé exclusivement d’œuvres que les altistes se sont appropriées de longue date, bien qu’elles n’aient pas été originellement écrites pour leur instrument, mais respectivement pour l’arpeggione, le cor et la clarinette. Le répertoire est si limité qu’il faille en arriver à de telles extrémités?


Avec un alto exubérant et contrasté en même temps que précis et virtuose, la Sonate «Arpeggione» (1823) de Schubert est en outre servie par l’inventivité de François Pinel, qui ne se cantonne pas à un rôle d’accompagnateur. Faisant preuve d’une autorité incontestable et d’une belle qualité de phrasé dans le diptyque Adagio et Allegro (1849), Lise Berthaud offre un Schumann au romantisme contrôlé.


La Seconde sonate (1894) de Brahms traduit une certaine tendance à l’hédonisme dans l’Allegro amabile initial, au tempo retenu. Mais, même si le piano se fait parfois un peu dur, comment ne pas succomber à cet archet souple et fin ainsi qu’à cette sonorité équilibrée qui font chanter sans arrière-pensées l’ultime contribution du compositeur à la musique de chambre?


2. Tempérament «bien tempéré»


Le festival, c’est aussi, chaque après-midi Salle Einstein et avec le soutien de la SACEM, la diffusion de treize films autour du thème «Musiciens dans la tourmente»: de Kosma à Ullmann, des «Scènes de la vie musicale en Russie» aux «Jazzmen du goulag», cet itinéraire passe notamment par deux des disciples de Schönberg.


Malgré son titre et à la différence de la plupart des autres productions présentées au cours de cette quinzaine, Anton Webern, une évocation de la vie et de l’œuvre du compositeur (1991) de Thierry Knauff ne relève pas du documentaire, mais, réflexion aussi bien qu’expérimentation, s’apparente plutôt à l’essai. A la manière rigoureuse de Straub et Huillet, le réalisateur semble vouloir transposer au cinéma le sens de l’ellipse caractéristique du style de Webern pour suggérer, en vingt-six minutes, son portrait, voire sa biographie, sans toutefois le représenter autrement que de façon fugace, et sans l’aide de dialogues ou d’un commentaire: restent des extraits musicaux (Webern, bien sûr, mais aussi Bach ou Mahler) ainsi qu’une bande-son très travaillée, qui mettent en valeur des images (mains, mouvements de l’eau, paysages...) en noir et blanc d’une grande beauté plastique. Par petites touches entrecoupées de plongées dans un contexte historique tragique (les conflits mondiaux, le nazisme et ses autodafés), ses activités à la tête de chorales ou à la radio autrichienne ainsi que certains épisodes de sa vie (apprentissage, guerre, famille), reviendront en mémoire, jusqu’à cette fameuse et fatale cigarette qu’il eut l’imprudence d’allumer devant sa maison un soir de septembre 1945.


Webern est, avec Brahms, Mahler, Schönberg, les Six, Boulez mais aussi Mistinguett, l’une des nombreuses figures évoquées dans le documentaire Max Deutsch, un pédagogue rebelle (1998) de Mustapha Hasnaoui. La facture est ici plus traditionnelle, à base d’archives et d’extraits d’entretiens, mais ces soixante-cinq minutes fascinent, tant ce musicien universel, qui vécut de 1892 à 1982 et dont le caractère se forgea dans les épreuves (exil, engagement dans la Légion étrangère, Résistance en Corrèze), s’impose par une personnalité à la fois brillante et intransigeante, restituant, dans un français truculent, des souvenirs dont l’ironie et l’autodérision ne sont pas absentes, suscitant souvent des rires parmi les spectateurs.


Le compositeur demeure à découvrir, même si une réelle modestie fait sans doute que cet aspect est peu abordé, sinon sa contribution à deux films de Pabst ainsi que la confection harmoniquement subtile d’une valse pour... Mistinguett. Le pédagogue, parisien depuis 1924 et installé après 1945 à deux pas de la rue de Madrid, est en revanche bien connu: il est parvenu à marquer profondément des centaines d’élèves, tout en leur laissant une liberté totale, dont témoigne la diversité de ceux qui ont suivi son enseignement (Bussotti, de Pablo, Essyad, Manoury, ...). Quant à l’interprète de Schönberg, c’est une révélation sidérante que de l’entendre diriger des extraits des Cinq pièces (opus 16) et des Variations (opus 31) ou se mettre au clavier pour jouer l’une des trois pièces de l’opus 11: quel tempérament! Car Max Deutsch, pour posséder un savoir théorique hors pair, n’en énonçait pas moins avec force un précepte simple: «Un musicien n’est un vrai musicien que s’il a du tempérament.» Et d’ajouter avec gourmandise: «"Bien tempéré", cela veut évidemment dire "avec beaucoup de tempérament"».


A l’issue de la projection, un dialogue s’engage entre la salle et le réalisateur, animé par un défenseur du septième art, Pierre Pitiot, et débouchant sur une déploration unanime: alors que les circuits de distribution en salle ont abdiqué depuis longtemps en faveur de la télévision, le règne de l’audimat n’est pas propice à la diffusion de documentaires sur la musique, même dans les programmes de service public ou sur les chaînes spécialisées, alors que leurs vertus formatrices ne sont pas contestées. Une préoccupation qui, sur la suggestion de Mustapha Hasnaoui, pourrait faire l’objet d’une table ronde lors de la prochaine édition du festival.


3. Tempérament dionysiaque


Alto et piano à midi, violon et piano en fin d’après-midi, toujours Salle Pasteur, mais la comparaison s’arrêtait là, car Patricia Kopatchinskaya et Mihaela Ursuleasa, indépendamment des esthétiques variées, pour ne pas dire opposées, de leur programme, ont livré un jeu physique et débridé, d’une formidable intensité.


Déjà assez peu fréquentée, la Huitième sonate (1802) de Beethoven, prise d’emblée à bras-le-corps, bénéficie encore plus rarement d’une telle approche: l’engagement se paie certes par des approximations et des effets trop appuyés, où ce qui rappelle d’ordinaire Haydn ou Mozart se rapproche davantage de Paganini, mais la diversité des attaques et la richesse des couleurs ne laissent pas de captiver l’attention. La biographie de la violoniste moldave indique qu’elle s’adonne par ailleurs à l’improvisation: on le croit bien volontiers lorsque, dans l’Allegro vivace final, elle ne peut s’empêcher d’esquisser de véritables pas de danse.


Ce bouillonnement trouve un défoulement idéal dans Variations I (1958) de Cage, «œuvre ouverte» par excellence, puisque la quasi-totalité de ses composantes sont ad libitum (nombre de musiciens, nomenclature instrumentale, durée d’exécution), la partition étant réduite à quelques feuilles de papier calque comportant des points, des lignes et des mots. Organisant, à la grande joie du public, un bref happening (quatre minutes) fidèle à l’esprit du compositeur, les deux artistes parlent, chantent, toussent et frappent des mains ou des pieds. L’une tourne gracieusement sur elle-même puis croque une pomme, l’autre ferme et rouvre le couvercle du piano puis s’allonge pour souffler dans un ballon rose jusqu’à le faire éclater, ce qui leur laisse fort peu de temps, il faut bien en convenir, pour tirer quelques notes de leurs instruments respectifs.


Il était encore question de tempérament avec la Troisième sonate «Dans le caractère populaire roumain» (1926) d’Enesco, et ce dans tous les sens du terme, puisque les passages en quarts de ton remettent en cause, de façon extrêmement novatrice pour l’époque, les bases traditionnelles de l’intonation. D’une liberté très extériorisée, d’un rhapsodisme exacerbé et spectaculaire avec ses glissandi vertigineux, ses gémissements et ses raclements, Kopatchinskaya assume le risque de pencher du côté de Tzigane de Ravel, alors qu’avec cette sonate, le compositeur roumain rejoint, dans la sublimation de ses racines folkloriques, Bartok ou le dernier Szymanowski.


Inspiré par les mêmes sources, mais autrement plus décoratif, l’inusable Hora staccato (1906) de Grigoras Dinicu apporte, en bis, une conclusion aussi logique qu’efficace.



Simon Corley

 

 

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