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Une Cenerentola magique! Milano Teatro alla Scala 06/27/2005 - et les 29 juin et 1, 6, 8, 11, 12, 14*, 15, 16, 18, 20, 21 juillet 2005. Gioachino Rossini : La Cenerentola Lawrence Brownlee (Don Ramiro), Sonia Ganassi (Angelina), Alessandro Corbelli (Dandini), Simone Alaimo (Don Magnifico), Michele Pertusi (Alidoro), Carla di Censo (Clorinda), Larissia Schmidt (Tisbe)
Jean-Pïerre Ponnelle (mise en scène), repris par Sonja Frisell
orchestre et Choeur de la Scala
Bruno Campanella (direction)
C’est dans une Scala splendide, totalement restaurée, que la célèbre production de La Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle est remontée avec une distribution rassemblant les plus grands spécialistes du répertoire rossinien. Des chanteurs familiers depuis de nombreuses saisons au style de Rossini se mêlent à la fine fleur d’une nouvelle génération de chanteurs pour le grand plaisir d’un public qui n’a plus que rarement l’occasion d’assister à une telle qualité!
La mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle, reprise par Sonja Frisell, est un modèle d’intelligence et de drôlerie. Les chanteurs ne sont jamais laissés à eux-mêmes, ils sont constamment en mouvement mais tous leurs déplacements prennent un sens dans l’action. Le décor est magnifique car il ressemble à un dessin, au crayon, en noir et blanc et les différents lieux de la maison de Don Magnifico puis du Prince sont simplement stylisés par des panneaux en tissu qui se soulèvent, des portes qui battent sous l’effet de la tempête, etc… Le duo entre Dandini et Don Magnifico, au second acte, est particulièrement réussi. Au début, Don Magnifico ne sait pas que son partenaire est en réalité un valet et il lui apporte une chaise avec beaucoup de courbettes: dans la seconde partie du duo, les rôles sont redéfinis et Don Magnifico tente par tous les moyens de récupérer le fauteuil pour s’y asseoir, terrassé par la nouvelle qu’il vient d’apprendre. Chaque note est rendue par un geste: dans l’air de Dandini les notes plus aiguës sont chantées en direction du trio, Don Magnifico et les deux soeurs, qui réagit. Les costumes sont magnifiques, très riches, surtout celui de la Cenerentola lors du bal: elle porte une robe noire avec des rubans blancs et des bijoux étincelants. Pour la dernière scène elle est vêtue d’une robe blanche beaucoup plus simple mais tout cela contraste bien avec ses hardes qu’elle a dans la maison de son père, hardes rendues très réalistes avec des bouts de tissus déchirés et rapiécés. La mise en scène recèle de petits détails très fins mais n’accumule pas pour autant les détails inutiles. Tout est toujours pensé pour apporter une meilleure compréhension du livret et de la musique, ne serait-ce que par des petites touches: le premier acte se termine par le banquet du Prince et les victuailles abondent sur la table, au début du second acte, il ne reste plus que les carcasses des volailles.
La distribution est pratiquement homogène et on ne sait qui louer le plus. Le rôle d’Angelina est tenu par Sonia Ganassi qui est, peut-être, l’artiste la moins convaincante de la soirée. La voix est belle, surtout dans les graves, mais elle tente d’imiter Cécilia Bartoli dans les vocalises: le résultat est moins brillant. La chanteuse apporte toutefois une grande classe au personnage et sait trouver des accents suppliants quand elle essaie de convaincre Don Magnifico de la laisser aller au bal.
On attendait Juan-Diego Florez mais c’est finalement Lawrence Brownlee, qui partage avec le ténor péruvien les représentations, qui s’est présenté ce soir. Ce jeune chanteur est une excellente découverte car la voix est belle, agile, facile dans les aigus et parfaitement adéquate au style rossinien. Mais l’interprète ne laisse pas sa personnalité s’affirmer (sauf dans le grand air, plus que prometteur) tant il a bien écouté Juan-Diego Florez et tant il cherche à tout prix à lui ressembler (mêmes couleurs sur certaines notes, même vibrato…). C’est bien dommage car ce chanteur possède de réelles qualités! Scéniquement il campe un Prince tout en douceur, tout en noblesse et il soutient très bien la mise en scène. Un nom à retenir car Lawrence Brownlee serait en passe de devenir un nouveau ténor rossinien de haut niveau quand, toutefois, il aura réussi à contrôler davantage son vibrato.
Le couple Alessandro Corbelli-Simone Alaimo fonctionne comme toujours à merveille. Ces deux chanteurs ont l’habitude de se produire ensemble et le fameux duo du deuxième acte est parfaitement huilé. Alessandro Corbelli est un Dandini de rêve, changeant même le timbre de sa voix suivant qu’il interprète le faux prince ou bien le valet. Dès son apparition sur scène, il ne trompe personne tellement ses gestes semblent patauds et indignes d’un prince de sang. Vocalement, la partition est un régal pour lui et il trouve des nuances savoureuses et chaleureuses dans son premier air.
Simone Alaimo est également irrésistible en Don Magnifico, tellement il se montre peu avare en courbettes devant le faux prince. La voix du chanteur impose toujours autant de respect car il déploie sa ligne de chant avec un art consommé, il se joue de toutes les difficultés dans les vocalises, même si à ce jeu-là Alessandro Corbelli se montre un tout petit plus doué. L’air du second acte est une véritable leçon de chant car il parvient à allier expressivité et distanciation.
Les deux soeurs de la Cenerentola sont chantées et jouées avec excellence par Carla di Censo et Larissia Schmidt qui rivalisent dans les vocalises et les effets comiques pour rendre leurs personnages encore plus pestes. Et le pari est entièrement tenu! Il faut dire que la mise en scène aide en ce sens puisqu’elles sont affublées de robes ridicules avec des volants, des rubans… et que chaque soeur est caractérisée: l’une est obnubilée par ses raccords de maquillage et l’autre ne se déplace pratiquement qu’en dansant.
Michele Pertusi met au service du rôle difficile d’Alidoro sa belle longue voix de basse et campe un philosophe tout en nuance et en intelligence. Son grand air est accueilli avec enthousiasme tant son chant est maîtrisé et en quelques notes il crée une atmosphère. La mise en scène en fait un personnage d’exception, capable de calmer la tempête mais aussi de mener tout son petit monde à la baguette. Une très bonne idée car sous l’habit de mendiant se cache le destin.
La petite déception de la soirée vient de Bruno Campanella, chef rossinien reconnu et fêté partout. Sa direction est flamboyante, sûre, mais il manque juste un petit quelque chose pour qu’elle soit exceptionnelle. Dommage car sa retenue ne permet pas à la scène de se laisser totalement aller. En revanche il conduit avec une exactitude confondante le final - qui se résume à des onomatopées - et peu à peu le mécanisme rossinien se met en place.
Une magnifique soirée qui a tenu ses promesses tout au long de la représentation. Depuis bien longtemps une telle communion entre mise en scène et musique n’avait été atteinte et peut-être que la Scala déteint le secret des soirées exceptionnelles: réunir les plus grands titulaires des rôles et les placer dans une production légendaire respectueuse de l’oeuvre… Manon Ardouin
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