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Un nouveau Duc est né!

London
Covent Garden
07/06/2005 -  et les 9* et 13 juillet 2005.
Giuseppe Verdi : Rigoletto

Dmitri Hvorostovsky (Rigoletto), Rolando Villazon (Duc), Ekaterina Siurina (Gilda), Eric Halfvarson (Sparafucile), Viktoria Vizin (Maddalena), Elizabeth Sikora (Giovanna), Robert Murray (Borsa), Graeme Broadbent (Ceprano), Dervla Ramsay (Comtesse), Jared Holt (Marullo), Darren Jeffery (Monterone), Andrea Hazell (page)
Michael Vale (décors), Tanya McCallin (costumes), Paule Constable (lumières), Leah Hausman (chorégraphie), David McVicar (mise en scène)
Choeur et Orchestre du Royal Opera House
Edward Downes (direction)

Cette reprise de Rigoletto est essentiellement marquée par les débuts de Rolando Villazon dans le rôle du Duc. Et quels débuts! Le ténor mexicain accumule les prises de rôle avec toujours autant de succès et il remporte un véritable triomphe. Ses partenaires ne sont pas en reste et le trio principal ne se ménage pas ses efforts pour présenter un drame poignant, riche, tragique… tout cela dans une mise en scène parfois déconcertante mais inspirée.



La production de David McVicar date de 2001 et n’est pas sans susciter quelques réactions. Le metteur en scène ne manque pas d’idées mais parfois il pousse à l’extrême le livret de Piave. La scène s’ouvre sur une orgie à la cour du Duc et les viols, les actes obscènes se succèdent: certes le duc et ses courtisans ne sont pas des modèles de vertu mais pas forcément à ce point!. Une fois cette première impression passée, la direction scénique est excellente et ouvre de très intéressantes perspectives. Le décor est unique et se résume à un grand échafaudage qui tourne: d’un côté la cour du Duc et de l’autre la maison de Rigoletto (qui devient ensuite celle de Sparafucile). Tout cela est stylisé mais se montre assez efficace au niveau dramatique. Le fond de la scène est noir et un trou - une sorte d’entrée de grotte - laisse passer les personnages. Toute l’expressivité scénique réside donc dans les mouvements des chanteurs qui sont bien étudiés. Les costumes sont classiques, respectueux de l’époque et très simples. Gilda a une robe blanche dans les premiers actes puis un costume de voyage sombre à la fin de l’opéra. Rigoletto est également tout en noir avec une bosse mais surtout il se déplace avec deux cannes, ce qui n’est pas sans faire penser au Grand Inquisiteur de la production de Luc Bondy au Châtelet. Les habits du Duc mettent un peu de couleur dans cette ambiance très noire puisqu’il arbore une superbe cape jaune au premier acte et une rouge au second: très chic! De nombreuses idées originales sont développées: la fille de Monterone, par exemple, est présente sur scène quand son père arrive et est encore là au deuxième acte, réduite à l’état d’objet de plaisir que se partagent les courtisans. Dès le premier acte, le Duc apparaît comme un être assez distant, froid et déterminé, n’hésitant pas à souiller la fille de Monterone devant lui. Il faut dire que le metteur en scène est aidé par un Rolando Villazon qui s’amuse visiblement à accentuer ce trait.


Rolando Villazon fait des débuts remarqués dans le rôle du Duc. Il possède tous les atouts pour camper un Duc parfait, que ce soit scéniquement ou vocalement. Dès son entrée en scène, il domine sa cour de son autorité et impose sa puissance. Pour avoir vu les deux premières représentations, on ne peut que souligner la vitesse avec laquelle l’interprète mûrit son rôle et son personnage. Le soir de la première, toutes les bases étaient posées, les idées avancées mais lors de la deuxième représentation, on sent le chanteur beaucoup plus à l’aise vocalement et il développe et exploite toutes les intentions effleurées auparavant. Et le résultat est extraordinaire! On ne sait quel passage louer le plus. Le “questo e quella” est assuré avec détermination ainsi que “la donna è mobile”. Mais c’est dans les airs plus sensibles que Rolando Villazon montre l’étendue de son talent dramatique et sa sensibilité. Dans “E il soll dell’anima”, l’amour du Duc pour Gilda est très net et augmente au fur et à mesure de l’air et on sent le personnage s’exalter de plus en plus. Une fois l’air terminé, tout son amour éclate dans le “che m’ami, deh ripetimi”, phrase à laquelle le chanteur apporte ses beaux graves chaleureux et un port de voix tellement expressif. Le grand air “ella mi fu rapita” est également un morceau d’anthologie tellement l’interprétation est intense dans la seconde partie de l’air avec des silences, des ports de voix et des notes tenues en decrescendo. Enfin “la donna è mobile” a bénéficié d’un grand travail de réflexion car Rolando Villazon change son interprétation suivant le moment où l’air est chanté: une fois comme un air de bravoure, une autre fois comme une scène de séduction, etc… Du très grand art!
Ekaterina Siurina fut une excellente surprise. Pour l’avoir entendu dans Olympia sur cette même scène l’année dernière avec des aigus un peu serrés et dans Servilia de La Clémence de Titus au printemps dernier à Garnier, le rôle de Gilda pouvait inquiéter un peu. Mais elle semble trouver parfaitement ses marques dans ce rôle et n’est jamais en difficulté vocalement. C’est l’une des rares Gilda actuellement à être capable d’assumer toutes les notes, même les plus aiguës, avec autant de facilité et d’engagement. Certes parfois il manque la profondeur, la rondeur dans le medium que peuvent apporter des voix comme celles d’Inva Mula ou d’Anna Netrebko, mais ce ne sont que de petits détails. Elle apporte la fraîcheur et la jeunesse nécessaire au personnage, ainsi que la naïveté qu’il convient au premier acte et la maturité au dernier. Elle offre un très beau parcours psychologique et surtout elle ravit le public avec des aigus cristallins et des vocalises précises.
Dmitri Hvorostovsky fut aussi une très bonne surprise. Ce chanteur est plutôt habitué aux rôles de vieux pères verdiens (Germont, Comte de Luna) et il apporte donc un air de noblesse au bouffon, ce qui rend sa lecture du personnage intéressante et riche. La voix est magnifique - surtout le soir de la deuxième - et le côté un peu froid de son interprétation s’évanouit au fur et à mesure de la soirée. Il trouve des accents touchants dans le duo avec sa fille au second acte, tout en sachant utiliser toute la puissance de sa voix pou crier sa vengeance à la fin de l’acte. Scéniquement, sa grande taille n’est pas un problème et contribue à souligner l’ambiguïté qui colle à la peau de Rigoletto. Qui est-il finalement? un noble déchu, un pauvre homme marqué d’une bosse? Le chanteur développe un Rigoletto passionnant et particulier.
Eric Halfvarson est un excellent Sparafucile qui possède les graves nécessaires (quand il dit son nom à Rigoletto) et les aigus qu’il faut. Son interprétation glace tant elle est forte surtout lorsqu’il décide de rester fidèle à Rigoletto et de tuer le Duc.
Le reste de la distribution est très bien tenu à commencer par Viktoria Vizin qui chante Maddalena avec beaucoup de conviction. Elle soutient parfaitement sa partie dans le quatuor du troisième acte et clame à Sparafucile son amour pour le Duc avec un très beau grave. Il est aussi agréable de retrouver Elizabeth Sikora - pilier du Covent Garden - dans le rôle de Giovanna. Pour une fois, ce personnage possède une véritable personnalité grâce à des notes sonores. Son jeu de scène est astucieux quand elle redemande avec insistance de l’argent au Duc pour le faire entrer.


Tout aurait pu être parfait si le chef avait été d’aussi bonne qualité que les chanteurs. Malheureusement c’est loin d’être le cas et il freine les intentions des chanteurs avec un tempo trop lent ou du moins complètement incohérent. L’orchestre est en décalage avec la scène, les instruments eux-mêmes sont en décalage, ce qui incite les chanteurs à adopter leur propre rythme et à laisser le rôle d’accompagnateur à l’orchestre. Le chef n’apporte aucun élan à la partition, aucune énergie (c’est surtout dommage dans le début de “cortigiani” où les violons ne ragent pas comme il faudrait) et il fait ressortir la structure de Verdi alors qu’il faut au contraire l’atténuer par des nuances. Les chanteurs ne se sentent manifestement pas à l’aise le soir de la première et c’est l’une des raisons essentielles pour laquelle ils ne peuvent pas donner le meilleur d’eux-mêmes. Le soir de la deuxième, l’orchestre est un peu mieux mais pas encore satisfaisant.



Le Covent Garden offre une très belle reprise avec des chanteurs de premier ordre. Il devient rare de pouvoir rassembler une si homogène distribution et c’est pourtant le secret pour réussir une soirée mémorable. Et bien sûr ce Rigoletto restera important pour les débuts de Rolando Villazon dans un rôle qu’il continuera d’explorer et d’enrichir au cours des années. Et comment résister à ses notes en mezza-voce sur la reprise de “la donna è mobile” qu’il chante avant de s’écrouler de fatigue?…





A noter:
- Cette production existe en DVD avec Marcelo Alvarez, Paolo Gavanelli, Christine Schäfer et Eric Halfvarson sous la baguette de Edward Downes, enregistrée en 2001. Chez BBC Opus Arte.
- Rolando Villazon reprendra le rôle du Duc au Met du 10 décembre 2005 au 18 février 2006 (avec Anna Netrebko) et au Staatsoper de Vienne du 18 au 29 juin 2006 (avec Leo Nucci).


Manon Ardouin

 

 

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