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Deuxième épreuve

Bordeaux
Grand Théâtre
06/27/2005 -  et 28 juin 2005
Ludwig van Beethoven : Quatuors n° 7, opus 59 n° 1 (a), 8, opus 59 n° 2 (b), et 9, opus 59 n° 3 (c)
György Kurtag : Moments musicaux, opus 44 (création) (d)

Quatuor Difference (a, d): Dace Ridina, Ilze Pence (violon), Una Vikstrema (alto), Liga Veilande (violoncelle)
Quatuor Sacconi (b, d): Ben Hancox, Hannah Dawson (violon), Robin Ashwell (alto), Cara Berridge (violoncelle)
Quatuor Carducci (b, d): Matthew Denton, Michelle Fleming (violon), Graham Broadbent (alto), Emma Denton (violoncelle)
Quatuor Dimitri (b, d): Céline Planes, Flore Nicquevert (violon), Renaud Stahl (alto), Frédéric Dupuis (violoncelle)
Quatuor Ardeo (b, d): Carole Petitdemange, Olivia Hughes (violon), Alice Mura (alto), Joëlle Martinez (violoncelle)
Quatuor Chiara (c, d): Rebecca Fisher, Julie Yoon (violon), Jonah Sirota (alto), Gregory Beaver (violoncelle)
Quatuor Parker (c, d):Daniel Chong, Karen Kim (violon), Jessica Bodner (alto), Kee-Hyun Kim (violoncelle)
Quatuor Rubens (a, d): Quirine Scheffers, Eefje Habraken (violon), Roeland Jagers (alto), Joachim Eijlander (violoncelle)
Quatuor Estevès (b, d): Thomas Gautier, Guillaume Antonini (violon), Alphonse Dervieux (alto), Americo Estevès (violoncelle)


Neuf concurrents – trois Français, deux Américains, deux Britanniques, un Letton et un Néerlandais – restaient encore en lice pour la deuxième épreuve de cette édition du Concours international de quatuor à cordes: il leur revenait d’interpréter l’un des trois Quatuors de l’opus 59 (Rasumowsky) (1806-1807) de Beethoven, au choix, ainsi que l’œuvre spécialement écrite par György Kurtag pour le concours, six Moments musicaux qu’il a achevés en février dernier et a dédiés à son fils, et qui connaissaient ainsi à cette occasion leur création publique.


D’une durée totale de treize à quatorze minutes, ces pièces sont emblématiques, au-delà même de leur brièveté, de l’univers du compositeur hongrois: malgré une radicale économie de moyens, fondée sur l’éclatement du discours, l’ellipse et le silence, il parvient à suggérer un éventail complet d’émotions qui s’inscrit en même temps dans un vaste ensemble de références musicales, ne serait-ce que son titre schubertien: Invocatio [un fragment] à la véhémence et à la parcimonie weberniennes; Footfalls [... mintha valaki jönne...], dont l’atmosphère rappelle les «musiques de nuit» bartokiennes et dont le titre énigmatique est explicité par un poème d’Endre Ady intitulé Personne ne vient; Capriccio humoristique; In memoriam György Sebök, hommage élégiaque, autant que faire se peut chez Kurtag, au pianiste disparu en 1999; ... rappel des oiseaux... [étude pour les harmoniques], portant une dédicace à l’altiste Tabea Zimmermann et consistant en un joyeux et impalpable gazouillis, certes plus voisin de Messiaen que de Rameau; enfin, Les Adieux (in Janaceks Manier), adaptation d’un morceau extrait des Jatetok (Jeux) pour piano à quatre mains.


A raison de trois par demi-journée, les formations se sont présentées dans le même ordre que pour la première épreuve, dont les impressions ont, pour l’essentiel, été confirmées par cette confrontation avec Kurtag et Beethoven.


Lundi après-midi: le calme avant la tempête


Le Quatuor Difference cultive décidément la sienne, avec un Septième quatuor de Beethoven moins monumental, symphonique et révolutionnaire qu’à l’habitude. Caractérisé par la verdeur des timbres, en particulier du violoncelle, le jeu des Lettones vise plus à convaincre qu’à séduire, avec un Adagio molto e mesto sans pathos, désolé, dépouillé, recueilli et concentré. L’énergie déployée dans les autres mouvements – le premier violon casse d’ailleurs une corde dans l’Allegro final – trouve toutefois ses limites dans des approximations trop nombreuses et dans une sonorité d’ensemble assez peu flatteuse. Dans les Moments musicaux de Kurtag, ce côté rêche s’accommode mieux avec le parti pris d’accentuation des ruptures retenu par les musiciennes.


Débutant quant à lui par ces Moments musicaux, le Quatuor Sacconi semble s’être déjà approprié l’œuvre, tant il y démontre à nouveau une maîtrise technique et une autorité époustouflantes. Cette manière lisse, colorée et brillante pourra être ressentie comme trop hédoniste ou séductrice, aussi bien dans Kurtag que dans Beethoven, mais elle rend pourtant justice à la dynamique du Huitième quatuor: dès les deux premiers accords, les Britanniques réussissent ainsi à placer l’auditeur in medias res et si le Molto adagio, très lent, conserve une grande simplicité malgré le molto di sentimento requis, il n’en est pas moins conduit avec une sens aigu des progressions. Après un Allegretto combinant de façon assez ludique fougue et élégance, le Presto final adopte un tempo très rapide, plus sautillant que bondissant. De cette formation homogène et d’une cohésion sans faille se détache néanmoins la fiabilité impressionnante de l’alto et du violoncelle.


Dans un style différent, pour ne pas dire opposé, la prestation du Quatuor Carducci se révèle cependant d’une qualité globalement comparable, notamment d’un point de vue instrumental. Plus abrasifs, les Moments musicaux se rapprochent probablement davantage des intentions de Kurtag et, malgré une allure générale plus vive, la poésie de pièces telles que Footfalls, In memoriam György Sebök ou Les Adieux ressort mieux. En revanche, la mise en place de ... rappel des oiseaux... laisse quelque peu à désirer. Dans le Huitième quatuor de Beethoven, gagnant en spontanéité ce qu’ils perdent en cohésion par rapport aux Sacconi, les Carducci font contraster un Molto adagio très chantant avec un Allegretto sauvage et presque précipité, aux accents très marqués, et un Presto spirituel et non moins enlevé.


Mardi matin: après la pluie, le beau temps


Un violent orage ayant provoqué en début de soirée des inondations et des infiltrations au Grand Théâtre, les organisateurs ont fait prévaloir – à juste titre, quoique la mort dans l’âme – le principe de précaution, considérant notamment que la sécurité des installations électriques ne pouvait être garantie. Mais si l’annulation de l’hommage que les membres du jury devaient ainsi rendre à leur président, Valentin Berlinsky, s’est donc avérée inévitable, les épreuves ont fort heureusement pu reprendre comme prévu le lendemain matin.


A l’heure où les spécificités nationales tendent à s’estomper, le Quatuor Dimitri, avec toute la prudence que doit inspirer le maniement de ce genre de clichés, possède indéniablement quelque chose de «français»: plus allusifs que poignants, plus réservés que précis, les Moments musicaux prennent sous leurs archets un tour très délicat qui bénéficie surtout aux pièces de tempo lent, particulièrement la dernière (Les Adieux). Moins univoque et spectaculaire, plus interrogatif que ceux entendus la veille, le Huitième quatuor de Beethoven illustre la capacité des Dimitri à varier les atmosphères, depuis les questions de l’Allegro initial jusqu’à l’humeur plus légère des deux derniers mouvements, en passant par un Molto adagio qui, plutôt que de regarder vers celui du Quinzième quatuor, évoque la sérénité de la Quatrième symphonie ou du Concerto pour violon, exactement contemporains. De haute tenue, leur interprétation se veut davantage éloquente qu’extérieure, plus soucieuse de cohérence que de beau son, même s’ils disposent d’un premier violon d’une belle finesse.


Le Quatuor Ardeo, dans le même opus 59 n° 2 de Beethoven, impose une approche plus physique, un registre expressif plus large et un engagement plus immédiat. Faisant souffler un tourbillon romantique qui paraît vouloir tout emporter dans des coups d’archet incisifs, voire aigres, il privilégie l’urgence et les contrastes, entre sérieux de l’Allegro initial et sentimento du Molto adagio. Prouvant qu’elles sont également capables de travailler dans la nuance, les Ardeo, qui ont, comme lors de la première épreuve, permuté leurs pupitres de violon, livrent la vision la plus claire et la plus complète des Moments musicaux de Kurtag: jamais Footfalls n’aura été rendu de façon si sensible, jamais Capriccio n’aura fusé de la sorte, jamais In memoriam György Sebök n’aura été ainsi transfiguré en ample déploration mahlérienne, jamais ... rappel des oiseaux... n’aura voleté avec autant d’exactitude et d’apesanteur.


La succession était difficile pour le Quatuor Chiara, qui débutait précisément par l’œuvre de Kurtag. Rugueux mais trop rigides et comme prisonniers de la partition, les Américains, peut-être pas assez préparés, ne se sortent pas mieux du Neuvième quatuor de Beethoven, émaillé de trop nombreuses scories, lesté par des effets appuyés et marqué par des choix contestables, comme cette façon presque systématique de faire précéder d’un bref arrêt l’énoncé d’une nouvelle phrase.


Mardi après-midi: temps variable


La dernière demi-journée fut à l’image du climat qui régnait à l’extérieur du Grand Théâtre, véritable refuge de fraîcheur: mi-figue, mi-raisin, entre chaleur et averses.


Le Quatuor Parker, dans les Moments musicaux de Kurtag, est plus allant que la moyenne des candidats, en cela sans doute plus proche des indications du compositeur, mais ne renouvelle pas fondamentalement la perception de ces pièces. Comme leurs compatriotes du Quatuor Chiara, les Parker ont opté pour l’opus 59 n° 3 de Beethoven: similaire à bien des égards (tendance au maniérisme, précipitation de la fugue finale, insuffisante différenciation des voix), mais d’une réalisation plus vivante, plus colorée et plus aboutie, leur Neuvième quatuor demeure d’un classicisme de bon aloi.


Seconde formation à se lancer dans le terrible opus 59 n° 1, le Quatuor Rubens, emmené par un premier violon alternant le meilleur et le pire, captive l’attention par sa solidité, sa plénitude sonore, son élan et sa générosité, mais, dérivant vers l’exagération, avec des portamenti et des attaques bien soulignés, peine à sonder les profondeurs du texte. Les Néerlandais convainquent en revanche dans des Moments musicaux de Kurtag animés, respirant bien et hauts en couleur, jusque dans l’acidité.


Comme tous les autres Français, le Quatuor Estevès s’est décidé pour le Huitième quatuor de Beethoven: modeste, sage et appliqué, manquant de caractère plus que d’esprit, il offre en outre une finition d’une netteté moyenne. Encore plus décevants dans les Moments musicaux de Kurtag, les Estevès échouent à en dominer tous les aspects techniques et esthétiques.


Mardi soir: quatre fois quatre


Quatre formations ont dépassé la moyenne de 15 (sur 20) requise pour l’accession à la finale: sans grande surprise, on y retrouvera successivement, dans le même ordre d’apparition que pour les épreuves éliminatoires, les quatuors Sacconi, Carducci, Ardeo et Parker.



Simon Corley

 

 

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